mercredi 10 octobre 2012

Ne pas confondre : quanticien et quant, roi-dragon et cygne noir, indéterminisme et imprédictibilité

Vous pouvez comprendre ça? 
Maintenant que Serge Haroche et David J. Wineland ont ouvert la voie à la manipulation d'objets quantiques individuels, il ne reste plus qu'à attendre quelques progrès supplémentaires en ingénierie quantique pour passer des objets microscopiques contrôlables aujourd'hui (ions, atomes et photons) aux objets macroscopiques demain. A terme le concept de chat de Schrödinger sera peut-être aussi familier que celui d'électron libre! Je peux donc dès aujourd'hui écrire l'expression suivante : 

|quanticien> = |magicien de la physique quantique expérimentale> + |maestro de la théorie quantique>, 

avec l'espoir d'être compris bientôt du plus grand nombre. J'aimerais maintenant soumettre à la réflexion du lecteur la proposition suivante :

|quant> = |analyste quantitatif spécialiste de mathématiques financières> + |étudiant défroqué de quantique>.

L'idée de cette expression m'est venue du vague souvenir d'un article de Philip Anderson sur la fuite des cerveaux des universités américaines vers des sociétés de consultants en management ou des compagnies  financières. La fée Internet me l'a retrouvé. Je ne résiste pas au plaisir de donner (après traduction) un extrait d'une lettre d'étudiant en post-doctorat citée par Anderson et qui s'adresse à un recruteur en ces termes :

Il y a plusieurs raisons pour vouloir quitter le milieu universitaire : l'une d'elle, ce n'est pas la moindre, est le désir d'un environnement de travail qui ... récompense ceux qui prennent des risques appropriés ... les questions scientifiques qui m'ont attiré ... sont reliées à des données du monde réel pour lesquelles il n'existe pas ... de modèle théorique. L'engagement dans ce genre de problématiques ... requiert le désir de relever de nouveaux défis, l'appétit pour le risque, et la capacité d'innover tout en restant humble ... face ... aux données.

Pour sûr! Alors vous êtes sur la bonne voie pour saisir ce qu'est une superposition quantique ... 
... ou du moins avez-vous maintenant une idée de la raison pour laquelle il n'est pas aisé de se faire expliquer toutes les causes de  la crise économique actuelle si les principaux acteurs sont ou ont été spécialistes ou amateurs de quantique!
Et maintenant des deux superpositions quantiques précédentes laquelle modélise le mieux un chat de Schrödinger et un chat du Cheshire? Si vous n'arrivez pas à répondre à cette question ou si vous ne l'aimez pas car cela ressemble trop à de la pataphiloquantique, ou encore si vous préférez les problèmes plus carrés et sérieux, alors ... lisez la suite.

Le chat quantique du Cheshire : un chat de Schrödinger au carré en matière de bizarrerie 
On a évoqué rapidement hier quelques animaux "mythiques" à propos d'articles de recherche traitant de quantique. Je profite de ce billet aujourd'hui pour signaler au lecteur désireux de lire un article de vulgarisation sur le dernier chat à la mode chez les quanticiens ce billet en anglais tiré du blog de la revue de référence Scientific American. Il y est expliqué en quoi le chat quantique du Cheshire, qui s'observe aujourd'hui expérimentalement en laboratoire, est encore plus bizarre que le chat de Schrödinger.
Passons maintenant à d'autres drôles d'emblèmes et de zèbres.

Roi-Dragon versus Cygne Noir : ou l'éconophysicien face au mathématicien financier 
A ma connaissance le terme roi-dragon (dragon-king), s'il a pu apparaître dans le contexte quantique, est avant tout un concept inspiré de la physique statistique des systèmes complexes forgé par Didier Sornette (qui s'est spécialisé dans l'analyse des évènements extrêmes en économie) pour contrer me semble-t-il l'idée de cygne noir développée elle par Nassim Taleb (titulaire d'une thèse en finance d'une université française devenue temple des mathématiques financières mondiales). Il déclare ainsi dans une interview au Temps:

"Il n’y a pas de cygne noir. Les évènements tels que les crises financières sont au contraire tout à fait prévisibles, ainsi qu’en témoignent les découvertes des sciences naturelles et le concept de fracture en ingénierie."

Pour résumer : le physicien de formation, aujourd'hui professeur de risque entrepreneurial à Zurich, affirme avoir les outils pour prévoir les crises tandis que le mathématicien financier de formation, aujourd'hui  épistémologue des probabilités insiste au contraire sur leur caractère intrinsèquement imprévisibles. Je laisse au lecteur le soin de décider qui, des deux protagonistes, est le plus sage et qui est le plus mégalo ... 

De la finance classique à la Phynance moderne 
Il y a un célèbre proverbe brésilien qui dit :  


Cada macaco no seu galho 
Chaque singe sur sa branche.

J'en ferrais volontiers ma devise de blogueur (elle sonne pour moi à la fois comme un avertissement et une permission de prendre la parole ... face aux autres). En ce qui concerne la problématique économique du paragraphe précédent c'est un grand débat à suivre j'imagine ... dans lequel le physicien n'est probablement pas moins ni plus légitime que le mathématicien.
Je voudrais seulement souligner que, si la finance classique doit énormément au calcul des probabilités, la finance moderne doit beaucoup à la théorie mathématique des jeux, fondée dans sa version moderne par un certain John von Neumann, qui se trouve aussi être l'un des pères du formalisme quantique. Elle doit  également un lourd tribu à la physique à travers le calcul stochastique dérivé de la modélisation du mouvement Brownien et qui permet de décrire ce que l'on appelle aujourd'hui justement la physique des marchés. Elle est enfin une grande consommatrice des applications de la mécanique quantique : à travers les transistors qui règlent le balais des électrons dans les ordinateurs et les diodes lasers qui inondent de leurs photons les réseaux de télécommunication par fibre optique. Je pourrais même parler de la cryptographie quantique que d'astucieux physiciens veulent vendre à la banque d'Angleterre ou ont déjà vendu à de fortunés clients.

Ce que nous apprend vraiment la physique moderne 
C'est, pour reprendre le titre d'un article de Thierry Paul qu'il faut lire,

(l')indetérminisme quantique et (l')imprédictibilité classique.



Note finale : l'histoire aussi peut-être nous apprend des choses ...
... je n'ai pas encore donné la date de l'article d'Anderson : c'était en 1999! Je commençais alors une thèse, c'était aussi et surtout la grande époque de la bulle Internet ... qui explosa en 2001, l'un de mes voisins de bureau, qui rêvait de devenir consultant dans une compagnie comme Andersen, vit avec effroi celle-ci  s'effondrer en 2002, suite au scandale Enron. Pendant ce temps là, un jeune ingénieur frais émoulu des Ponts et chaussées  suivait le chant sophistiqué des sirènes mathématico-financières, entre Paris, Londres et Hong-Kong il découvrait les joies du trading, pour "gagner plus" comme on le disait facilement en 2007. Qu'a-t-il pensé alors du crack de 2008 ? L'avait-il prévu, anticipé, avait-il couvert le risque pour lui, son employeur, ses clients, ses amis, ses concitoyens, ses contemporains ... son prochain? 


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