jeudi 13 décembre 2012

Happy Higgsmas 2012!

Le vrai jour où la découverte du boson de Higgs (ne) fut (pas tout à fait) annoncée 
L'annonce publique officielle de la découverte du boson de Higgs est bien datée du 4 juillet 2012 mais le chasseur de scoop scientifique ou le blogueur amateur de science sait qu'un séminaire publique se teint le mardi 13 décembre 2012 lors duquel les physiciens du CERN communiquèrent prudemment sur la possibilité de la détection d'une nouvelle particule de masse voisine de 125 GeV mais avec une pertinence statistique de seulement trois sigma, insuffisante pour l'annonce officielle d'une découverte comme l'annonçait le jour précédent Sean Carroll sur son blog Cosmic Variance. Peut-être cette non-annonce s'expliquait par la nécessité de couper court aux rumeurs qui diffusaient sur la blogosphère et la volonté de remettre un peu de sérénité dans la communauté scientifique en quête du Higgs, elle  donnait aussi l'occasion aux équipes du CERN de montrer elur sérieux et de ne pas répéter des erreurs passées comme l'explique très bien Giulio d'Agostini dans cet article.
Quoiqu'il en soit Phil Gibbs dont le blog vixra log fut semble-t-il le premier à avoir accueilli dans ses commentaires la rumeur d'un "Higgs à 125 GeV" fut heureux de commenter en direct ce fameux séminaire du 13 décembre et fut comme d'autres convaincu de la véracité du "signal" identifié. L'avenir a donné raison à tous, les prudents et les enthousiastes : parmi lesquels Flip Tanedo qui immortalisa par anticipation cette journée par une chanson : The Night before Higgsmas.

Qu'y a-t-il de nouveau aujourd'hui dans nos petits souliers ?
Nous sommes aujourd'hui le 13 décembre 2012, un an après ce séminaire et c'est la date qu'a choisi la collaboration ATLAS pour annoncer ses dernières investigations sur le Higgs. A la lecture du dernier billet  du blog Resonaances sur le sujet, publié il y a moins de deux heures et intitulé malicieusement Twin Peaks in ATLAS il semble que le microscope de l'infiniment petit que représentent le LHC et le détecteur ATLAS ait peut-être un problème de mise au point lorsqu'il se penche sur les différents canaux de désintégration du Higgs puisqu'il voit double pour ainsi dire ...

\\ajout du 15 décembre : 
La courbe ci-dessus indique les deux valeurs de masse différentes mesurées par ATLAS pour le supposé boson de Higgs selon deux canaux de désintégration particuliers. Pour en savoir plus on peut lire ce billet en français du blog Quantum Diaries.

samedi 8 décembre 2012

Après la géométrie Euclidienne et la géométrie Riemannienne, une géométrie Galoisienne pour la physique?

Sans commentaire // ou presque (5)

Comment sauver encore une fois la théorie quantique des champs (TQC) au XXIème siècle? 
A tout seigneur tout honneur, donnons la parole à Steven Weinberg l'un des pères du Modèle Standard, lequel n'est rien d'autre que le nom commun de la théorie quantique des champs la plus couronnée de succès à ce jour. Dans cette conférence donnée sous le Globe du CERN le 7 juillet 2009, le célèbre physicien américain expose ses vues sur les hauts et les bas dans l'histoire de la TQC : sa présentation débute avec l'image ci-dessous décrite comme représentation des fluctuations "boursières" de la valeur de la TQC sur le marché des théories physiques ...


                                                                                                                                            
Comme on le voit l'action "TQC" est en baisse depuis les années 80 qui ont vu l'avènement des théories des supercordes qui dominent depuis le marché ... Néanmoins Weinberg termine son exposé sur l'hypothèse de sécurité asymptotique d'une théorie quantique du champ de gravitation, concept qu'il a proposé en 1979 comme une généralisation de celui de liberté asymptotique qui avait permis de réhabiliter la TQC quelques années auparavant (voir billet précédent). Et même s'il juge alors les chances d'une validation de cette hypothèse comme minces, accordant plus de crédit aux théories des supercordes, il remarque cependant des progrès récents sur la voie de la validation du scénario de la sécurité asymptotique (en gros l'existence d'une théorie quantique du champ de gravitation renormalisable dans un cadre non-perturbatif) et finit  même son exposé à peu près sur ces mots:
Je ne veux pas décourager les théoriciens des cordes mais la possibilité existe que le monde ne soit pas tel qu'ils l'envisagent mais qu'il soit au contraire plus proche de ce que nous savons déjà de lui à savoir le modèle standard "plus" la relativité générale ...
Pour élargir l'horizon des possibles au delà des théories des cordes et aborder l'histoire du développement de la TQC sous un autre angle, il est intéressant de se pencher sur l'exposé suivant (en français) : Renormalisation non commutative (28 avril 2007) du physicien théoricien Vincent Rivasseau qui brosse un panorama assez large des différents  aspects du non-commutatif. On peut d'abord y lire ce résumé :
... la théorie [quantique] des champs et la renormalisation réussirent au début des années 70 un come-back spectaculaire:

- Weinberg et Salam unifièrent interactions électromagnétiques et faibles à l’aide du formalisme de Yang et Mills de théories de jauge dites non-abéliennes, c’est à dire basées sur une symétrie interne non commutative.

- ’tHooft et Veltmann réussirent le tour de force de montrer que ces théories de jauge sont encore renormalisables, en particulier à l’aide d’un nouvel outil technique, la [régularisation] dimensionnelle.

- ’t Hooft dans un travail non publié, puis Politzer, Gross et Wilczek découvrirent en 1973 que ces théories ne souffraient pas du fantôme de Landau. Gross et Wilczek proposerent alors une théorie de ce type, QCD  [chromodynamique quantique] pour décrire les interactions fortes ou nucléaires.

Meanwhile, perturbative renormalization was embarrassingly effective in describing reality, and kept QFT, understood as an expansion in Feynman graphs, in its role as the best-tested and most-used workhorse in the stables of theoretical physics. It is commonly denied the status of being a theory these days though, as at the moment of writing it is not yet defined in mathematically satisfying terms.
It is a personal belief of the author that this is not testimony for bigger (read extended) things hiding behind local quantum fields, but rather testimony to the subtlety by which nature hides its concepts.
On an optimistic nore, I indeed believe that the clear mathematical understanding we have now of the practice of perturbative renormalization paves the way for a mathematical consistent approach to QFT which bridges the gap between what practitioners of QFT have learned, and what is respectable mathematics.
                                                           Dirk Kreimer Algebra for quantum fields (juin 2009).

Après les succès des théories de jauge non-abéliennes sur l'espace-temps ordinaire, quelles promesses offrent les géométries non-commutatives ? 
Explorer ce que devient la théorie des champs en géométrie non commutative et en particulier dans l’espace de Moyal [travaux de H. Grosse et R. Wulkenhaar] est ... suggéré à la fois par l’examen attentif du modèle standard et par la théorie des cordes.
Mais une autre motivation profonde vient de la physique ordinaire en champ fort. Il peut d’ailleurs s’agir de physique des particules ou de matière condensée. L’exemple le plus évident est celui de l’effet Hall quantique [travaux de V. Pasquier et A. Polychronakos]. 
Mais on peut aussi penser à d’autres problèmes en champ fort comme le confinement des quarks, ou la croissance de polymères chargés sous fort champ magnétique. L’utilisation des techniques de géométrie non commutative pourrait aider à comprendre des effets très difficiles à étudier parce qu’ils sont non-perturbatifs et non-locaux dans le langage de la géométrie ordinaire. 
                                                                                                          Vincent Rivasseau  ibid.

The lack of a simple geometric interpretation of the new terms added to the Lagrangian to generate the masses leads to many theoretical speculations denying any fundamental significance to the Higgs particle. As we see below, noncommutative geometry indeed provides a simple geometric interpretation of the new terms. 
Alain Connes, Matilde Marcolli Noncommutative Geometry, Quantum Fields and Motives (novembre 2007).

Our approach is inspired by Connes’ ideas ... but we attempt to generalize general Riemannian - rather than spin-geometry purpose of our note is to provide natural geometrical interpretations of various scalar fields, such as an axion, a dilaton and a Higgs field, ... As in Connes’ approach, "space-time" will have the structure of two copies of the usual four-dimensional space-time carrying (a priori massless) left-handed and right-handed spinors, respectively. This is reminiscent of a fivedimensional generalization of the quantum Hall effect ..., the extra fifth dimension being treated as a discrete two-point set.  
The axion will turn out to be the "fifth" component of the electromagnetic vector potential, the dilaton to be a gravitational degree of freedom associated with the discrete fifth dimension, and the Higgs field will appear as a component of the electroweak gauge field that induces tunneling processes between the two sheets of "space-time"and provides masses to the fermions and to the W- and Z gauge bosons...
Ali H. Chamseddine, J. Fröhlich, B. Schubnel, D. Wyler Dimensional Reduction without Continuous Extra Dimensions (janvier 2012).


La non-commutativité (de "l'espace") comme alternative à la supersymétrie?
Il y a plusieurs façons de rendre un espace non-commutatif et différents espaces susceptibles de l'être, de plus l'espace-temps des uns n'est pas toujours exactement le même que celui dont parlent les autres c'est particulièrement vrai dans le cas de la confrontation des modèles évoqués par Rivasseau et celui développé (et raffiné récemment) par Connes et Marcolli dans ces différents extraits :
Si à une échelle (hypothétique) comprise entre l’échelle du Tev et l’échelle de Planck l’espace-temps ordinaire lui aussi devient non-commutatif, il faut sans doute utiliser le groupe de renormalisation non commutatif à partir de cette échelle.

Un des arguments les plus forts pour l’existence de supersymétrie est que cela aide à la convergence des couplages U(1), SU(2) et SU(3) du modèle standard...

Mais cette convergence pourrait aussi se produire en vertu d’un flot modifié par la non-commutativité de l’espace-temps.  
                                                                                                           Vincent Rivasseau ibid. 

 The model of space-time given by the product of a continuous four dimensional manifold times a  noncommutative discrete space has many advantages. It allowed us to obtain the Standard Model with the correct representation for the 16 fermions, the correct gauge fields and a Higgs doublet associated with the discrete dimension, thus providing a geometric origin for the Higgs field as a gauge field associated to the finite space...
The noncommutative approach predicts all the fermionic and bosonic spectrum of the standard model, and the correct representations. In addition to the Higgs field, there exists a neutral singlet field, whose [vacuum expecttion value] gives Majorana mass to the right-handed neutrino. The existence of the singlet is responsible for the breakdown of the symmetry of the discrete space from H ⊕ H ⊕ M4 (C) to C ⊕ H ⊕ M3 (C) and thus plays a central role. One can also take as a prediction that there are no other particles to be discovered, except for the three scalar fields: the Higgs field, the singlet field and the dilaton field ... The dynamics of the fields are governed by the interactions obtained from the spectral action principle, which is based on using a function of the Dirac operator defining the metric of the noncommutative space... 
The lesson we learned from this analysis is that we have to take all the fields of the noncommutative spectral model seriously, without making assumptions not backed up by valid analysis, especially because of the almost uniqueness of the Standard Model in the noncommutative setting. In this respect this should motivate us to address the remaining questions in the noncommutative Standard Model. In particular it is important to resolve the issue of providing a way to make the three gauge couplings meet at some unification scale.
Ali H. Chamseddine, Alain Connes Resilience of the Spectral Standard Model (août 2012)

A realistic Higgs mass estimate of 126 GeV was obtained by Shaposhnikov and Wetterich ... , based on a renormalization group analysis ... In this setting, the renormalization group equations (RGE) for the matter sector acquire correction terms coming from the gravitational parameters ... These ... terms ... make the matter couplings asymptotically free ... 
We discuss the implications of using this RGE flow on the particle physics models based on the spectral action functional. In particular, one can obtain in this way a realistic Higgs mass estimate without introducing any additional [singlet scalar field] content to the model ... but the fact that the RGE with anomalous dimensions lead to a "Gaussian matter fixed point" at high energies requires a reinterpretation of the geometric constraints at unification energy imposed by the geometry of the spectral action models ... 

Un groupe de Galois cosmique pour mieux comprendre la renormalisation des théories quantiques des champs physiques

... en science, il faut trouver de temps a autre un mot qui frappe. Ren é Thom avait invent é le mot \catastrophe", Mandelbrot avait invent é le mot fractal", Alain Connes a cr éé la g éom étrie non commutative", etc. Ce sont des mots qui expriment non n écessairement une d éfinition tr ès pr écise, mais en tout cas un programme de recherche qui vaut la peine d'être poursuivi. Alors, qu'est le groupe de Galois cosmique ? Justement, ce qui m'a permis de formuler cette notion est que j'ai suivi de pr ès tout au long de ma carri ère les d éveloppements en physique math ématique. Ce qui m'a frapp é est qu'Alain Connes et [Dirk] Kreimer ont reformul é de mani ère totalement nouvelle le probl ème de ce que l'on appelle la renormalisation en physique ... grâce à l'introduction d'un groupe nouveau qui se d écrit directement en termes de ... diagrammes [de Feynman]... 
D'un autre côt é, il y a un certain nombre de travaux auxquels j'ai collabor é, en math ématiques proprement dites, o ù l'on s'int éresse a des s éries et à des int égrales qui repr ésentent des nombres g én éralisant les puissances de pi ou les valeurs de la fonction zêta de Riemann. Il est utile d' étudier les relations entre ces nombres, qui étaient implicites ... dans le travail de Drinfeld ... On peut formuler ces propri ét és en introduisant un autre groupe, un groupe de sym étrie, qui correspond à peu pr ès à ce que Grothendieck avait appel é le groupe de Galois motivique. ...   
Quand on fait des calculs explicites des int égrales li ées aux diagrammes de Feynman, les constantes que l'on trouve sont du même type que celles que l'on étudie en th éorie des nombres. Alors, je me suis dit : "Il y a un groupe" et cela m'a conduit a une interpr étation du groupe d'Alain Connes et Kreimer comme un groupe de sym étrie qui porte sur les constantes fondamentales de la physique. Dans le mod èle standard des particules él émentaires, il y a une vingtaine de constantes, dont la seule d étermination connue est exp érimentale : on a un tableau de vingt nombres avec une plus ou moins grande pr écision pour faire coi ncider les pr édictions des mod èles avec les observations. Ce sont des constantes dont on n'a pas d'explication math ématique, que l'on ajuste simplement pour que cela colle avec les r ésultats exp érimentaux. Je pense que ce groupe-la exprime des sym étries d'un type nouveau entre ces constantes fondamentales de la physique. On n'a pas encore [*] étudi é les implications cosmologiques des id ées de Connes et Kreimer, mais il y en a certainement. Il est possible que l'histoire de notre univers d epende de mani ere tr es pr ecise de valeurs num ériques comme le rapport entre les masses des quarks. Mon rêve est une fusion compl ète entre les id ées de Connes-Kreimer et le groupe de Galois motivique de Grothendieck, Drinfeld ..., mais pour l'instant ce n'est qu'un programme de recherche.
 Interview de Pierre Cartier, men ée le 23 f evrier (2009), par Javier Fres an 

 //* la "cosmologie non-commutative" au sens où l'entend Cartier est aujourd'hui en développement grâce en particulier à Mathilde Marcolli et Mairi Sakellariadou ]

Après avoir courbé l'espace faut-il maintenant le flouter, le tordre, le faire mousser, rajouter des dimensions, le dédoubler ... pour mieux comprendre les anomalies et les ambiguïtés de nature Galoisiennes qui se cachent derrière les infinis de la TQC ?
Internet est rempli d'idées merveilleuses sur cette question. Mais un blog(ueur comme moi) est (d'esprit) trop étroit pour les citer toutes (et reconnaître les plus pertinentes).
                                      // une pirouette pour finir ce billet en forme de clin d'oeil à une citation célèbre...