samedi 7 septembre 2013

(Si) la cosmologie quantique rentre dans l'ère de la précision (l'âge de raison?), (est-ce) un moment d(e dés)illusion pour la physique des (astro)particules ?

Rubrique Dévissage(s) (2)

Ne pas confondre accélération et inflation (de l'expansion de l'univers ou du développement des théories cosmologiques ;-) 
It was discovered in 1980 that the quantum fluctuations of the metric can explain the observable structure of the universe if and only if the expanding universe went through a stage of cosmic acceleration [1]. The spectrum of these perturbations in the range of observable scales was calculated for the first time in [2]. About the same time it was realized that in order to understand the large scale homogeneity and isotropy of the observable universe one also needs a stage of accelerated expansion, cosmic inflation [3]. At present there exist hundreds of different inflationary scenarios. 
En 1980 on a découvert que les fluctuations quantiques de la métrique peuvent expliquer la structure de l'univers observable si et seulement si l'univers en expansion est passé par une phase d'accélération cosmique [1]. Le spectre de ces perturbations dans la gamme des échelles observables a été calculé pour la première fois dans [2]. Vers la même époque, on a pris conscience que pour comprendre l'homogénéité à grande échelle et l'isotropie de l'univers observable une phase d'expansion accélérée appelée inflation cosmique [3] était nécessaire. À l'heure actuelle, il existe des centaines de  scénarios inflationnistes distincts.
Viatcheslav Mukhanov, Quantum Cosmological Perturbations: Predictions and Observations, 13/03/13

Soumettre à l'épreuve des faits expérimentaux des modèles prédictifs est un art qui se nourrit du maximum de contraintes portées sur le minimum de paramètres (et non l'inverse).  
To understand what theory of quantum fluctuations really predicts and how to extract the parameters, characterizing the inflationary stage, from observations it is convenient to describe inflation using the effective hydrodynamical approach. In this approach the state of the matter is entirely characterized by its energy density ε and the pressure p. In this note I will only consider the predictive inflationary theory, when both the acceleration and the perturbations are due to the same matter component. There exist many models where one kind of matter is responsible for acceleration and the other for perturbations. In these models nearly any outcome of the measurements can be accommodated making them experimentally non falsifiable and therefore of no great interest. Indeed a theory makes sense only if it makes non-trivial predictions which can be confirmed or disproved by measurements and the best theory is the theory with the minimal number of parameters. In fact, there is no need to involve more parameters unless there appears an obvious contradiction with experimental data or there exist deep theoretical reasons for doing so. Because the theory of simple inflation is in excellent agreement with the present observations it is enough to restrict ourselves to this predictive theory. 
Pour comprendre ce que la théorie des fluctuations quantiques prédit vraiment et savoir comment extraire les paramètres caractérisant la phase inflationniste à partir des observations il est commode de décrire l'inflation en utilisant une approche effective de type hydrodynamique. Dans cette approche, l'état ​​de la matière est entièrement caractérisé par sa  densité d'énergie ε et la pression p. Dans cette note,  je vais seulement considérer la théorie inflationniste prédictive dans laquelle l'accélération et les perturbations sont dues à la même composante de matière. Il existe de nombreux modèles où un type particulier de matière est responsable de l'accélération et un autre des perturbations . Dans ces modèles on peut rendre compte de presque tous les résultats de mesures ce qui les rend expérimentalement non falsifiables et donc sans grand intérêt. En effet, une théorie n'a de sens que si elle fait des prédictions non triviales qui peuvent être confirmées ou réfutées par des mesures et la meilleure théorie est celle avec le nombre minimal de paramètres. En fait, il n'est pas nécessaire de prendre en compte davantage de paramètres à moins qu'il n'apparaisse une contradiction flagrante avec les données expérimentales ou bien qu'il n'existe des raisons théoriques profondes pour le faire. Puisque la théorie de l'inflation simple est en excellent accord avec les observations actuelles il est suffisant de nous limiter à cette théorie prédictive .
Viatcheslav Mukhanov, ibid. 

De la robustesse des prédictions de la théorie des perturbations cosmologiques quantiques (ou ces sacrés théoriciens russes et leurs merveilleuses solutions analytiques). 
The key point is that the microscopic origin of the dark energy does not play a crucial role regarding the major predictions of the quantum cosmological perturbations theory. Everything we need is a “decaying cosmological constant”... The logarithmic spectrum obtained in [2] ... is in good agreement with the most recent measurements of the CMB fluctuations [5] ... and confirm the logarithmic dependence of the gravitational potential at the level of 3,5σ. This logarithmic dependence has a deep physical origin since it is due to the small deviation of the equation of state from cosmological constant needed for a graceful exit. 
...I would like to stress that the model independent predictions above are extremely nontrivial and were for a long time in conflict with observations. For example, in the 80th, along with the theory of quantum initial perturbations there were competing theories of cosmic strings, textures and entropy perturbations, which sometimes were even more favorable from the point of view of observations. However, now all these theories are ruled out and only the theory of quantum cosmological perturbations with all its nontrivial predictions is confirmed by observations.  
Le point clé est que l'origine microscopique de l'énergie sombre ne joue pas un rôle crucial en ce qui concerne les principales prédictions de la théorie quantique des perturbations cosmologiques . Tout ce dont nous avons besoin est une " constante cosmologique décroissante " ... Le spectre logarithmique obtenues dans [2] ... est en bon accord avec les mesures les plus récentes des fluctuations du fond diffus cosmologique [5]... et confirment la dépendance logarithmique du potentiel gravitationnel à un niveau de confiance de 3,5 σ. Cette dépendance logarithmique a une origine physique profonde car elle est due à la petite déviation de l'équation d'état par rapport à la constante cosmologique requise pour une sortie douce de la phase inflationnaire.
... Je tiens à souligner que les prédictions ci-dessus, qui ne dépendent pas du modèle, n'ont absolument rien d'évident et furent longtemps en conflit avec les observations. Dans les années 80 par exemple il y a eu, parallèlement à la théorie quantique des perturbations initiales, des théories concurrentes comme celles des cordes cosmiques, des textures et des perturbations entropiques qui ont parfois été plus en accord avec les observations de l'époque. Cependant toutes ces théories sont maintenant réfutées et la théorie des perturbations cosmologiques quantiques avec toutes ses prédictions non triviales sont confirmées par les observations. 
Viatcheslav Mukhanov, ibid.

Peut-on être déjà sûr de l'origine quantique des premières structures de l'Univers sans avoir encore détectée l'une de ses signatures gravitationnelles dans le modèle (le plus) simple d'inflation cosmologique?
One more robust prediction of inflation is the existence of the longwave gravitational waves [6]... Although primordial gravitational waves are not yet detected, the experimental confirmation of the flatness of the universe, adiabatic nature of nearly gaussian perturbations and the discovered (at 3,5 sigma level) logarithmic tilt of the spectrum unambiguously prove the quantum origin of the universe structure and the early cosmic acceleration ... Given that the quantum origin of the universe structure is experimentally confirmed, the precision measurements already now allow us to exclude many inflationary scenarios existing in the literature. Moreover, the improved accuracy of the determination of spectral index, the bound (or detection) on non-gaussianity and the bound (or possible future detection) on primordial gravitational waves will allow us to put further restrictions on the admissible inflationary scenarios. 
Une prédiction plus robuste du scénario inflationnaire est l'existence d'ondes gravitationnelles de grande longueur d'onde [ 6 ] ... Bien que les ondes gravitationnelles primordiales n'aient pas encore été détectés, la confirmation expérimentale de la  quasi -platitude de l'univers, la nature adiabatique des perturbations presque gaussiennes et la découverte de l'inclinaison logarithmique (à un niveau de confiance de 3,5 sigma) du spectre prouve sans ambiguïté l'origine quantique de la structure de l'univers et la phase initiale d'accélération cosmique .... Étant donné que l'origine quantique de la structure de l'univers est confirmée expérimentalement , les mesures de précision nous permettent d'ores et déjà d'exclure de nombreux scénarios inflationnistes existants dans la littérature. En outre, l'amélioration de la précision de la détermination de l'indice spectral, la majoration (ou la détection) du caractère non-gaussien des fluctuations du fond diffus cosmoloigique et la borne sur (ou la détection éventuelle future de) l'amplitude des ondes gravitationnelles primordiales va nous permettre de mettre des contraintes supplémentaires sur les scénarios inflationnistes admissibles.
Viatcheslav Mukhanov, ibid.

Faut-il espérer percer les mystères quantiques actuels de la physique des particules en dévissant les rouages du mécanisme de formation des structures cosmologiques primordiales?
After the origin of the universe structure from quantum fluctuations is confirmed one can ask the question how much can we really learn about fundamental physics making precise measurements of the parameters α and β... Assuming that inflation is due to the slow roll scalar field with a standard kinetic energy term we will determine the scalar field potentials, which correspond to different values of α and β...although non-decisive for selecting a particular scenario the precision measurements are very useful for excluding the whole families of inflationary scenarios. It seems that taking into account the possible accuracy of the measurements, the uncertainty in N due to unknown detailed physics after inflation and the remaining freedom in the choice of β one will never be able to distinguish the models described by potentials of type ...
... this seems will not help us too much in recovering the fundamental particle physics behind inflation. In fact, the observational data only allow us to measure only the effective equation of state and the rate of its change in a rather small interval of scales. Keeping in mind unavoidable experimental uncertainty, the effect of unknown physics right after inflation and degeneracy in the scenarios discussed above we perhaps will never be able to find out the microscopical theory of inflation without further very essential input from the particle physics... 
the remarkable property of the theory of quantum origin of the universe structure is that the gravity seems does not care too much about microscopic theory providing needed equation of state, and allows us to make experimentally verifiable predictions. 
Après la confirmation de l'explication de l'origine de la structure de l'univers par des fluctuations quantiques, on peut se demander si effectuer des mesures précises des paramètres α et β permet d'en apprendre beaucoup sur la physique fondamentale ... En supposant que l'inflation est due au champ scalaire en roulement lent avec un terme d'énergie cinétique standard, nous allons déterminer les potentiels du champ scalaire qui correspondent à différentes valeurs de α et β ... quoique non déterminantes pour la sélection d'un scénario particulier les mesures de précision sont très utiles pour l'exclusion de familles entières de scénarios inflationnistes. Il semble qu'en tenant compte à la fois de la précision limité des mesures, de l'incertitude sur le paramètre N due aux détails inconnus de la physique après l'inflation sans oublier la liberté restant dans le choix de β on ne sera jamais en mesure de distinguer les modèles décrits par des potentiels de type ...
... il semble que cela ne nous aidera donc pas beaucoup à reconstruire la physique des particules fondamentales qui se cache derrière le phénomène inflationnaire. En fait les données observationnelles ne nous permettent de déterminer l'équation d'état effective et son taux de variation que dans un intervalle plutôt modeste de valeurs. Gardant à l'esprit les inévitables incertitudes expérimentales, les effets de la physique inconnue juste après l'inflation et le degré d'ambiguïté dans les scénarios décrits ci-dessus , nous ne seront peut-être jamais en mesure de trouver la théorie microscopique de l'inflation sans autre information substancielle issue de la physique des particules ...
... la propriété remarquable de la théorie de l'origine quantique de la structure de l'univers c'est que la gravité ne semble pas trop se soucier de la théorie microscopique responsable de l'équation d'état mais c'est pour cette même raison qu'elle nous permet de faire des prédictions testables expérimentalement.
Viatcheslav Mukhanov, ibid.

Les physiciens des particules savent dépasser leurs illusions passagères et continuer à espérer, la tête dans les étoiles...
The CMB spectrum measured by the Planck satellite points to a perfectly boring universe: the vanilla ΛCDM cosmological model, no hint of new light degrees of freedom beyond the standard model, no hint of larger-than-expected neutrino masses, etc. However at the quantitative level things are a bit more interesting, as Planck has considerably narrowed down the parameter space of inflation. 
... the current situation is interesting but unsettled. However, the limit r≲0.11 may not be the last word, if the Planck collaboration manages to fix their polarization data. The tensor fluctuations can be better probed via the B-mode of the CMB polarization spectrum, with the sensitivity of Planck often quoted around r∼0.05. If indeed the parameter ε is not much smaller than 0.01, as hinted by the spectral index, Planck may be able to pinpoint the B-mode and measure a non-zero tensor-to-scalar ratio. That would be a huge achievement because we would learn the absolute scale of inflation, and get a glimpse into fundamental physics at 10^16 GeV! Observing no signal and setting stronger limits would also be interesting, as it would completely exclude power-law potentials. We'll see in 1 year.  
Le spectre du fond diffus cosmologique (CMB) mesuré par le satellite Planck nous montre un univers parfaitement ennuyeux : le modèle ΛCDM cosmologique le plus ordinaire, aucune trace de nouvelles particules de faible masse au-delà du modèle standard, aucun indice d'une masse des neutrinos plus grande que prévu ... etc. Toutefois au niveau quantitatif les choses sont un peu plus intéressantes car Planck a considérablement rétréci l'espace des paramètres des modèles inflationnaires.
... la situation actuelle est intéressante mais instable. Toutefois la limite r ≲ 0.11 peut ne pas être le dernier mot si la collaboration Planck parvient à exploiter ses données de polarisation. Les fluctuations tensorielles peuvent être mieux sondées via le mode B du spectre de polarisation CMB avec la sensibilité de Planck souvent annoncée autour de r ~ 0,05. En effet, si le paramètre ε n'est pas beaucoup plus petit que 0,01, comme le laisse entendre l'indice spectral, Planck est peut-être en mesure d'identifier le mode B et mesurer un ratio tenseur sur scalaire non nul. Ce serait une avancée majeure car nous pourrions ainsi connaître l'échelle absolue de l'inflation et obtenir un aperçu sur la physique fondamentale à 10^16 GeV ! N'observer aucun signal tout en fixant des limites plus fortes serait également intéressant car cela exclurait complètement les potentiels en loi de puissance. Nous verrons dans un an.
 Jester, Planck about Inflation, 20/04/2013
Post tapuscriptum du 17/09/13
Alan Guth, le père américain de la théorie de l'inflation cosmologique a été récompensé par le fameux prix de la Physique Fondamentale en 2012, prix créé et financé par le capital-risqueur milliardaire russe Yuri Milner lequel a parallèlement récompensé de nombreux travaux sur la théorie des cordes, la gravitation et l'informatique quantiques. Viatcheslav Mukhanov quant-à lui, le cosmologiste russe abondamment cité dans ce billet, est le cofondateur de la théorie de l'origine quantique des fluctuations cosmologiques primordiales (qui repose sur l'existence d'une phase d'accélération de l'expansion de l'univers), théorie dont on vient de voir que de nombreuses prédictions non triviales sont désormais validées sans ambiguité par les observations récentes du satellite Planck. L'avenir nous dira qui du comité du prix Nobel ou de celui du prix Milner sera le premier à récompenser ces importants travaux ...

//Remarque : traduction des extraits en français faite le 23/10/2013