Comme tout récit, celui de la physique théorique des particules de ces quarante dernières années peut se conter sous la forme d'une Iliade ou d'une Odyssée. La première forme, polémique, a déjà été employée abondamment par certains blogs fameux (le combat entre achéens et troyens se poursuit ici et là). Transcyberphysix, comme son nom l'indique, a préféré la forme de l'Odyssée, se sentant mieux outillé et plus à l'aise dans la métaphore heuristique que dans la bataille d'experts ou la propagande épistémologique ...
La lente et discrète distillation du modèle standard dans l'alambic noncommutatif
Voici un bref récit de la géométrisation noncommutative du modèle standard, il est tiré de cet article de Raimar Wulkenhaar, chercheur porté par le même souffle qu'Alain Connes : la passion pour la compréhension de la réalité physique grâce à l'outil mathématique forgé par ce dernier mais qui présente l'intérêt d'avoir un point de vue un peu différent sur l'utilisation de cet outil.
One of the greatest achievements of noncommutative geometry is the conceptual understanding of the Standard Model of particle physics. This was not reached in one step. It took more than 15 years :
- via the two-sheeted universe of Connes-Lott [1991] with its bimodule structure,
- the discovery of the real structure [1995] (which eliminated one redundant U(1) group),
- the understanding of gauge fields as inner fluctuations in an axiomatic setting [1996a] and the move from the Dixmier trace based action functional to the spectral action principle [1996b], which unifies the Standard Model with gravity,
- the supression of the unimodularity condition [2001] (which eliminated the second redundant U(1) group),
- to the spectacular rebirth [2006] with the explanation [2007] of the C ⊕ H ⊕ M3(C) Standard Model matrix algebra as the distinguished maximal subalgebra of M2(H) ⊕ M4(C) compatible with a non-trivial first order condition (i.e. Majorana masses) and a six-dimensional real structure (i.e. charge conjugation).
There is one important message of this evolution: One should never be completely satisfied with one’s achievements! The description given in Alain Connes’book [1990] definitely has its beauty. The little annoyance with the redundant U(1) found its solution in the real structure [1995] which soon was realised as a key to unlocking the secrets of spin manifolds [1996a] in noncommutative geometry. This axiomatic setting initiated many examples of noncommutative manifolds and culminated in the recent spectral characterisation of manifolds [2008].
Profitons de ce que la théorie des supercordes a son site officiel pour y consulter un bref historique reproduit ci-dessous:
Entre résilience du modèle spectral presque commutatif et résurrection(s successives) de la théorie des cordes
- 1970 String theory is born: three particle theorists independently realize that the dual theories developed in 1968 to describe the particle spectrum also describe the quantum mechanics of oscillating strings. This marks the official birth of string theory.
- 1971 Supersymmetry is invented in two contexts at once: in ordinary particle field theory and as a consequence of introducing fermions into string theory. It holds the promise of resolving many problems in particle theory, but requires equal numbers of fermions and bosons, so it cannot be an exact symmetry of Nature.
- 1974 Gravitons: string theory using closed strings fails to describe hadronic physics because the spin 2 excitation has zero mass. Oops, that makes it an ideal candidate for the missing theory of quantum gravity!! This marks the advent of string theory as a proposed unified theory of all four observed forces in Nature.
- 1976 Supergravity: supersymmetry is added to gravity, making supergravity. This progress is especially important to string theory, where gravity can't be separated from the spectrum of excitations.
- 1980 Superstrings: string theory plus supersymmetry yields an excitation spectrum that has equal numbers of fermions and bosons, showing that string theory can be made totally supersymmetric. The resulting objects are calledsuperstrings.
- 1984 The Big year [the first revolution]: this was the year for string theory! Deadly anomalies that threatened to make the theory senseless were discovered to cancel each other when the underlying symmetries in the theory belong two special groups. Finally string theory is accepted by the mainstream physics community as an actual candidate theory uniting quantum mechanics, particle physics and gravity.
- 1991- 1995 The duality revolution [the second revolution]: interesting work on stringy black holes in higher dimensions leads to a revolution in understanding how different versions of string theory are related through duality transformations. This unlocks a surge of progress towards a deeper nonperturbative picture of string theory.
- 1996 Black hole entropy: using Einstein relativity and Hawking radiation, there were hints in the past that black holes have thermodynamic properties that need to be understood microscopically. A microscopic origin for black hole thermodynamics is finally achieved in string theory. String theory sheds amazing light on the entire perplexing subject of black hole quantum mechanics.
D'autres lecteurs préféreront cet article de vulgarisation en français de Lisa Randall ou cette interview plus récente, les autres peuvent approfondir la question avec les présentations faites au séminaire Poincaré 2004 consacré aux cordes. Mais il ne faut pas manquer non plus l'occasion d'écouter (en français) ou de lire (en anglais) les cours au Collège de France du père fondateur de la première théorie des cordes : Gabriele Veneziano. Il y brosse un vaste panorama qui va littéralement de la préhistoire des cordes jusqu'à leurs applications récentes.
Entre résilience du modèle spectral presque commutatif et résurrection(s successives) de la théorie des cordes
Il faut ajouter à l'histoire récente du modèle spectral au moins un nouveau fait particulièrement significatif : il s'agit fondamentalement de la suppression d'une approximation faite dans l'évaluation [2010] des effets d'un nouveau champ scalaire prédit par la théorie. Sans cette approximation qui s'est révélée fausse a posteriori, suite à la découverte du boson de Higgs et la détermination de sa masse, la théorie se révèle capable de faire une postdiction correcte et voit sa cohérence interne renforcée [2012]. Le nouveau modèle spectral semble donc intégrer avec succès les extensions phénoménologiques minimales du modèle standard compatibles avec les dernières avancées expérimentales. Il démontre ainsi sa "résilience", une sorte de capacité d'auto-approfondissement grâce à la confrontation à la physique expérimentale.
Pour sa part, la ou plutôt les théories des cordes ont une histoire ponctuée de conflits entre leurs prévisions qualitatives ou quantitatives et les faits expérimentaux. Mais la manière dont elles les ont « résolus » pour l'essentiel a toujours été par un saut en avant spéculatif permettant de faire d'une défaite phénoménologique, sinon une victoire conceptuelle du moins une nouvelle poussée théorique : bref une résurrection formelle !
L'extrait suivant du cours de Veneziano est une belle illustration d'une telle résurrection. Il décrit la crise à laquelle fut confrontée la première théorie des cordes quantiques (QST en anglais) initiée par lui et la façon dont Joël Scherk et John H. Schwarz "sauvèrent" la théorie par une proposition "très audacieuse", créant ainsi une nouvelle théorie des cordes ... théorie qui fait fondamentalement appel à la supersymétrie, laquelle n'a pas encore été mise en évidence à ce jour.
Hélas, l'expérience est souvent lente à révéler ses oracles et certains ont une vision cruelle de l'histoire de sciences :
Eine neue wissenschaftliche Wahrheit pflegt sich nicht in der Weise durchzusetzen, daß ihre Gegner überzeugt werden und sich als belehrt erklären, sondern vielmehr dadurch, daß ihre Gegner allmählich aussterben und daß die heranwachsende Generation von vornherein mit der Wahrheit vertraut gemacht ist.
Une nouvelle vérité scientifique ne triomphe jamais en convainquant les opposants et en faisant voir la lumière, mais plutôt parce que ses opposants finissent par mourir, et qu'il naît une nouvelle génération à qui cette vérité est familière.
Max Planck, Wissenschaftliche Selbstbiographie, Leipzig, 1948
Mais si le destin des mortels est douloureux (il le fut cruellement avec Scherck et aussi d'une certaine manière avec Planck), les combats héroïques des physiciens-mathématiciens pour percer les secrets de la Nature ne sont pas vains; et comme certains héros de la guerre de Troie, il est permis d'espérer que quelque Dieu veille sur eux et les rendent immortels en les faisant entrer dans le Panthéon de la Physique ou des Mathématiques!
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