mercredi 21 novembre 2012

Le physicien (ne) peut (pas) se passer du mathématicien (pour dériver le réel à partir des possibles imaginaires)

Néologisme à défaut d'anagramme
S i s y p h (i) e (n) = [physicien] sans {mathématicien} (et inversement?) 
Ce que ni ATLAS, ni CMS ni LHCb ne sont parvenus à trouver au LHC (pour le moment...)
Ce billet fait suite au précédent qui évoquait la situation de « crise » actuelle de la physique théorique des particules qui ne parvient pas à valider expérimentalement le paradigme hypothétique de la supersymétrie, lequel a été souvent présenté depuis la fin des années soixante-dix comme le plus prometteur pour prédire la physique au-delà du modèle standard (ce dernier ayant été achevé théoriquement dans la première moitié de cette même décennie). 
Il fait aussi écho au débat qui a agité récemment la blogosphère scientifique suite à l’annonce par la collaboration internationale LHCb d’une nouvelle percée expérimentale (après la découverte d’un boson de Higgs par les collaborations ATLAS et CMS) : la première détection de désintégrations rarissimes de mésons Bs en deux muons. Le taux de désintégrations ainsi le plus petit jamais mesuré est en accord avec les prédictions du Modèle Standard or « les théoriciennes et théoriciens qui sont convaincus qu'il existe une théorie plus complète » et qui cherchent à la mettre en évidence fondent beaucoup d’espoir sur de telles expériences … il y a donc de quoi être déçu d’autant que pour reprendre les mots de Pauline Gagnon sur le blog Quantum Diaries
« Ce nouveau résultat semble indiquer que la nouvelle physique sera plus difficile à révéler qu’on ne l’espérait. En attendant, cela permettra aux théoriciennes et théoriciens d’éliminer les nouveaux modèles inadéquats, ce qui finira éventuellement par les orienter dans la bonne direction. Entre temps, les expérimentateurs et expérimentatrices devront élaborer des techniques plus raffinées pour enfin mettre le doigt sur cette nouvelle physique. »
Le débat, qui n’est certes pas nouveau, entre défenseurs du paradigme supersymétrique et sceptiques sur son intérêt pour la physique des particules, a connu un regain qu'on a pu suivre à travers les blogs référencés par interactions.org. Il m’a semblé que le physicien Matt Strassler y jouait un rôle de commentateur voire d’arbitre, sinon impartial du moins intéressant par son argumentation physique et son soucis pédagogique qui caractérise son blog Of Particular Significance. Il y écrit en particulier ceci :
LHC data (and data from other sources) have ruled out a lot of variants of TeV-scale supersymmetry. But no, we’re not yet close to ruling out the full range of variants... 
Please note that I’m not telling you this because I’m some devotee of supersymmetry who believes deeply in his heart that we’ll someday find it, and is trying to persuade you not to give up... long, painful slog lies ahead, during which particle physicists — theorists and experimentalists — will painstakingly cover all the possible variants of supersymmetry, and slowly but surely determine whether or not supersymmetry is absent at the TeV scale
Les données du LHC (et des données provenant d'autres sources) ont exclu un grand nombre de variantes de la supersymétrie à l'échelle du TeV. Mais non, nous ne sommes pas encore près de statuer sur toute la gamme des variantes ...  S'il vous plaît notez que je ne vous dis pas cela parce que je suis un adepte de la supersymétrie qui croit profondément dans son cœur que nous allons un jour la trouver, et essaie de vous convaincre de ne pas abandonner ... Une longue et douloureuse corvée nous attend, au cours de laquelle les physiciens des particules - théoriciens et expérimentateurs - passeront soigneusement en revue toutes les variantes possibles de supersymétrie, et lentement mais sûrement ils détermineront si oui ou non la supersymétrie est absente à l'échelle du TeV.
Bref, la tache du physicien ressemble fort à celle d'un Sisyphe moderne.

Qui dit audace ne dit pas forcément spéculation 
\\complété le mardi 4/12/12
Et si, plutôt que de se focaliser sur le débat autour de théoriciens qui poursuivent des spéculations que d'aucuns jugent peu étayées physiquement, on s'intéressait davantage à des mathématiciens prenant au sérieux les solutions des physiciens et des physiciens écoutant ce que les mathématiciens ont à leur dire sur leurs équations communes. Cette démarche combinée semble parfois former comme l'alambic d'une patiente distillation, celle par exemple :
distillation opérée en particulier par un mathématicien obstiné (voir billet précédent) accompagné d'autres pionniers comme ici ou qui tracent leurs chemins presque parallèles au sien.
Si ce n'est pas de l'audace, c'est au moins du courage qu'il faudra aux futurs physiciens pour investir et cultiver à leur profit le champ mathématique sauvagement abstrait dans lequel poussent pour le moment les fruits du modèle spectral sur un espace presque commutatif; la promesse de futures vendanges plus abondantes pour leur discipline est peut-être à ce prix.
Mais la véritable audace, elle est à mon avis dans le pas qu'il faut franchir pour dépasser nos intuitions spatiales et temporelles présentes, celles issues de nos interactions passées avec un environnement classique à travers la médiation de nos sens et de nos outils ordinaires d'autrefois. Il faut maintenant habiter pleinement le nouveau monde plus subtil qui s'offre à nous à travers des nouvelles technologies littéralement quantastiques et qui nous révèlent une nature quantordinaire insoupçonnée.
C'est dans cet esprit que la démarche d'Alain Connes, ce mathématicien fasciné par les découvertes des physiciens quantiques, est passionnante car j'y vois, outre ses succès jugés encore trop formels dans un passé récent (et ses prises de positions trop franches), un approfondissement non seulement mathématique mais épistémologique de la physique quantique de la seconde moitié du XXème siècle, approfondissement que je ne vois pas présent dans la théorie des cordes, la M-théorie ou plus simplement la supersymétrie ;
approfondissement pourtant attendu sinon espéré depuis de longues années par un mathématicien/physicien comme Freeman Dyson (une des grandes figures de la renormalisation de l'électrodynamique quantique) dans un texte fameux. Or il est frappant de voir à quel point de nombreux aspects du travail de Connes peuvent, à travers la grille de lecture précédente, être vus comme la volonté implicite de "réparer"  certaines des opportunités manquées signalées par Dyson.


Comment la théorie quantique des champs fut sauvée dans les années 70?
Quoi de mieux pour méditer sur les crises passées de la physique des particules et leurs résolutions qu’une lecture croisée de deux textes décrivant les réflexions de deux grands physiciens qui furent au cœur des évènements dans ces fameuses années soixante-dix ? Commençons par le principal artisan de la démonstration effective de la renormalisabilité du Modèle Standard : Gerard 't Hooft : 


Et, dans un soucis de réhabilitation historique pour mieux faire connaître les héros parfois trop méconnus de la physique quantique derrière le rideau de fer ou par simple soucis esthétique de donner à voir une symétrie Est/Ouest autrefois manifeste (aujourd'hui quelque peu brisée ou cachée) dans l'élaboration de la physique et des mathématiques, je signale ce texte, beaucoup plus autobiographique que le précédent  : 


écrit par Alexander Markovich Polyakov, "le meilleur physicien qu'il m'ait été donné de rencontrer" selon une formule entendue dans la bouche de Thibault Damour en novembre 1996 pendant un séminaire alors que j'étais étudiant. Polyakov y décrit ses premiers travaux des années 60 aux années 70 alors qu'il était encore en Russie (il vit aujourd'hui aux Etats-Unis), comment il brava pour ainsi dire l'interdit du légendaire Landau en travaillant sur la théorie quantique des champs, découvrant pour ainsi dire le mécanisme de Higgs avec Alexander Migdal. En 1974 il découvre au même moment que 't Hooft des "monopôles magnétiques non abéliens" qui porteront désormais leurs noms; il s'agit de solutions complètement inattendues aux équations de Yang-Mills Higgs qui permettent d'établir une sorte de dualité entre électricité et magnétisme, dualité qui servira plus tard à la compréhension du phénomène de confinement des quarks en chromodynamique quantique, avant d'être considérablement généralisée par Edward Witten et d'autres pour devenir une des pièces centrales de la théorie des supercordes et des branes et connaître de formidables développements effectifs en mathématiques et spéculatifs (jusqu'à ce jour) en physique comme le raconte très bien Daniel Bennequin dans un riche article intitulé : Dualités de champs et de cordes.
\\ Suite et fin de la réflexion au billet prochain

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