Rubrique : Curiositêtes (1)
Le blogueur démarre une nouvelle rubrique qui aura pour but de présenter des physiciens plus ou moins connus du public amateur de sciences, en mettant l'accent sur des travaux originaux plus ou moins reconnus par leurs pairs.
L' tête au carré
Le blogueur démarre une nouvelle rubrique qui aura pour but de présenter des physiciens plus ou moins connus du public amateur de sciences, en mettant l'accent sur des travaux originaux plus ou moins reconnus par leurs pairs.
L' tête au carré
Gerardus van 't Hooft est un physicien théoricien hollandais dont le patronyme pourrait se traduire en français par "L' tête" puisqu'en hollandais la tête se dit het Hoofd). Bien qu'ayant été récompensé par le prestigieux prix Nobel il y a déjà quinze ans, il est toujours actif scientifiquement (*) et il n'hésite pas à prendre une part active à la visibilité et à la défense de ses idées sur internet:
- ses derniers articles sont toujours déposés en libre accès sur arxiv;
- il continue à être invité dans des institutions scientifiques prestigieuses pour des séminaires comme on peut le voir ici, la toile est également riche d'autres vidéos de ses interventions, on recommande particulièrement celle-là, qui s'adresse au grand publique;
- son site personnel est une mine d'or pour l'esprit curieux qui veut entrer dans la tête d'un physicien aussi généreux dans le partage de ses travaux et ses idées qu'il est grand par : l'importance de ses contributions scientifiques et la clarté avec laquelle il expose la physique contemporaine et ses idées plus originales;
- soulignons enfin qu'il est à notre connaissance le seul Prix Nobel de physique à avoir un compte et à intervenir sur le site public collaboratif : Physics Stack Exchange.
(* recevoir un prix Nobel n'est pas qu'une récompense, c'est aussi une charge de travail et d'obligations sociales diverses et nombreuses qui peuvent entraver la créativité et la productivité de l'heureux récipiendaire).
Le dernier des héros (du Modèle Standard et de la théorie) quantique (des champs)?
Comme le prouve son prix Nobel, on peut être sûr que G. 't Hooft a déjà sa place dans l'histoire des sciences de par sa contribution décisive à l'achèvement du Modèle Standard.
Rappelons que ce modèle, dont une partie essentielle appelée théorie d'unification électrofaible était pour l'essentielle déjà construite à la fin des années soixante (grâce aux travaux de Glashow, Salam et Weinberg en particulier), attendait encore au début des années soixante-dix une véritable reconnaissance de l'ensemble des physiciens. Or cette reconnaissance fut acquise grâce à la démonstration par 't Hooft - encore étudiant et bien épaulé par son directeur de thèse Veltmann - de la renormalisabilité de cette théorie : propriété fondamentale qui permet de "dominer" les infinis qui apparaissent systématiquement dans les calculs de théorie quantique des champs et qui menacent sans cesse leur pouvoir prédictif et fait planer le doute sur leur cohérence interne.
On pourrait poursuivre en parlant aussi de la place de choix qu'occupe aussi 't Hooft dans l'autre secteur du Modèle Standard: celui qui porte sur l'interaction forte modélisée par la chromodynamique quantique, théorie dont il a été l'un des premiers à comprendre la nature topologique et non perturbative mais dont il ne maîtrisait peut-être pas assez tous les aspects phénoménologiques pour apprécier l'importance de ses propre résultats ainsi que la justesse du conseil d'un autre physicien lui recommandant de publier rapidement ses travaux...
On pourrait poursuivre en parlant aussi de la place de choix qu'occupe aussi 't Hooft dans l'autre secteur du Modèle Standard: celui qui porte sur l'interaction forte modélisée par la chromodynamique quantique, théorie dont il a été l'un des premiers à comprendre la nature topologique et non perturbative mais dont il ne maîtrisait peut-être pas assez tous les aspects phénoménologiques pour apprécier l'importance de ses propre résultats ainsi que la justesse du conseil d'un autre physicien lui recommandant de publier rapidement ses travaux...
I announced at that meeting my finding that the coefficient determining the running of the coupling strength, that he called β(g^2), for non-Abelian gauge theories is negative, and I wrote down Eq. (5.3) on the blackboard. [Kurt] Symanzik was surprised and skeptical. “If this is true, it will be very important, and you should publish this result quickly, and if you won’t, somebody else will,” he said. I did not follow his advice. A long calculation on quantum gravity with Veltman had to be finished first.
G. 't Hooft, WHEN WAS ASYMPTOTIC FREEDOM DISCOVERED? or THE REHABILITATION OF QUANTUM FIELD THEORY 09/1998On voit en lisant la dernière phrase de la citation précédente que 't Hooft était déjà impliqué dans un programme de recherche encore plus vaste visant à intégrer la dernière interaction fondamentale connue: la gravitation dans le cadre de la théorie quantique des champs.
Un des fondateurs de la vision quantique des trous noirs et père du principe holographique
Quels ont donc été les apports de 't Hooft au programme d'unification de la physique fondamentale depuis lors? La transcription écrite d'une conférence en l'honneur d'Abdus Salam (autre héro du Modèle Standard) donnée en 1993 et revue et corrigée en 2009 nous donne un élément de réponse:
I am given the opportunity to contemplate some very deep questions concerning the ultimate unification that may perhaps be achieved when all aspects of quantum theory, particle theory and general relativity are combined. One of these questions is the dimensionality of space and time... When we quantize gravity perturbatively we start by postulating a Fock space in which basically free particles roam in a three plus one dimensional world. Naturally, when people discuss possible cut-off mechanisms, they think of some sort of lattice scheme either in 3+1 dimenisional Minkowski space or in 4 dimensional Euclidean space. The cut-off distance scale is then suspected to be the Planck scale. Unfortunately any such lattice scheme seems to be in conflict with local Lorentz invariance or Euclidean invariance, as the case may be, and most of all also with coordinate reparametrization invariance. It seems to be virtually impossible to recover these symmetries at large distance scales, where we want them. So the details of the cut-off are kept necessarily vague. The most direct and obvious physical cut-off does not come from non-renormalizability alone, but from the formation of microscopic black holes as soon as too much energy would be accumulated into too small a region. From a physical point of view it is the black holes that should provide for a natural cut-off all by themselves. This has been this author’s main subject of research for over a decade.
't Hooft, Dimensional Reduction in Quantum Gravity,1993-2009
Pour contempler plus simplement la vision quantique originale qu'à 't Hooft du trou noir (une particule élémentaire comme les autres à l'échelle de Planck?) on peut se reporter à l'extrait suivant:
For an intuitive understanding of our world, the Hawking effect seems to be quite welcome. It appears to imply that black holes are just like ordinary forms of matter: they absorb and emit things, they have a finite temperature, and they have a finite lifetime. One would have to admit that there are still important aspects of their internal dynamics that are not yet quite understood, but this could perhaps be considered to be of later concern. Important conclusions could already be drawn: the Hawking effect implies that black holes come in a denumerable set of distinct quantum states. This also adds to a useful and attractive picture of what the dynamical properties of space, time and matter may be like at the Planck scale: black holes seem to be a natural extension of the spectrum of elementary physical objects, which starts from photons, neutrinos, electrons and all other elementary particles.
't Hooft, Quantum gravity without space-time singularities or horizons, 18/09/2009
Au final ces réflexions l'ont conduit à formuler plusieurs conjectures dont la plus connue et reconnue semble-t-il est le principe holographique:
What is known for sure is that Quantum Mechanics works, that the gravitational force exists, and that General Relativity works. The approach advocated by me during the last decades is to consider in a direct way the problems that arise when one tries to combine these theories, in particular the problem of gravitational instability. These considerations have now led to what is called “the Holographic Principle”, and it in turn led to the more speculative idea of deterministic quantum gravity ...
't Hooft, The Holographic Principle, 2000
La dernière phrase de l'extrait précédent se termine sur une autre idée beaucoup plus controversée: celle d'une théorie déterministe sous-jacente à la mécanique quantique.
(La compréhension de la physique à) l'échelle de Planck vaut bien une conjecture de 't Hooft (non orthodoxe)
Voyons donc un peu plus en détail ce qui peut conduire un spécialiste de la théorie quantique à remettre en question son interprétation standard:
It is argued that the so-called holographic principle will obstruct attempts to produce physically realistic models for the unification of general relativity with quantum mechanics, unless determinism in the latter is restored. The notion of time in GR is so different from the usual one in elementary particle physics that we believe that certain versions of hidden variable theories can – and must – be revived. A completely natural procedure is proposed, in which the dissipation of information plays an essential role.
't Hooft, Quantum Gravity as a Dissipative Deterministic System, 03-04/1999
Beneath Quantum Mechanics, there may be a deterministic theory with (local) information loss. This may lead to a sufficiently complex vacuum state, and to an apparent non-locality in the relation between the deterministic (“ontological”) states and the quantum states, of the kind needed to explain away the Bell inequalities. Theories of this kind would not only be appealing from a philosophical point of view, but may also be essential for understanding causality at Planckian distance scales.
't Hooft, DETERMINISM BENEATH QUANTUM MECHANICS, 12/2002
Évidemment cette conjecture de 't Hooft suscite semble-t-il pas mal de scepticisme d'autant qu'elle remet en cause rien de moins que le programme de l'informatique quantique comme on le verra dans le prochain paragraphe. Les critiques les plus explicites s'expriment naturellement sur la blogosphère. Pour avoir aussi une idée de la réaction plus officielle de ses pairs, on peut lire cette entrevue récente de 't Hooft dans laquelle il relate une brève discussion avec le physicien John Bell; mais la rencontre date des années 80 et Bell a depuis disparu tandis que le modèle développé par 't Hooft (basé sur des automates cellulaires) s'est raffiné depuis.
Un bel exemple d'échange de réflexion scientifique en ligne sur Physics.Stack.Exchange
Heureusement internet nous offre un autre lieu virtuel d'échanges de point de vue intéressant à travers un site de questions, réponses et commentaires où l'on peut suivre un dialogue en ligne entre 't Hooft et une grande figure de l'information quantique, en l'occurrence Peter Shor (le père de l'algorithme du même nom):
Heureusement internet nous offre un autre lieu virtuel d'échanges de point de vue intéressant à travers un site de questions, réponses et commentaires où l'on peut suivre un dialogue en ligne entre 't Hooft et une grande figure de l'information quantique, en l'occurrence Peter Shor (le père de l'algorithme du même nom):
The problem with these blogs is that people are inclined to start yelling at each other. (I admit, I got infected and it's difficult not to raise one's electronic voice.) I want to ask my question without an entourage of polemics.My recent papers were greeted with scepticism. I've no problem with that. What disturbes me is the general reaction that they are "wrong". My question is summarised as follows:
Did any of these people actually read the work and can anyone tell me where a mistake was made?
... A revised version of my latest paper was now sent to the arXiv ... Thanks to you all. My conclusion did not change, but I now have more precise arguments concerning Bell's inequalities and what vacuum fluctuations can do to them.
asked Aug 15 '12 at 9:35 G. 't Hooft
Réponse: I can tell you why I don't believe in it. I think my reasons are different from most physicists' reasons, however. Regular quantum mechanics implies the existence of quantum computation. If you believe in the difficulty of factoring (and a number of other classical problems), then a deterministic underpinning for quantum mechanics would seem to imply one of the following.
- There is a classical polynomial-time algorithm for factoring and other problems which can be solved on a quantum computer.
- The deterministic underpinnings of quantum mechanics require 2n resources for a system of size O(n).
- Quantum computation doesn't actually work in practice.
None of these seem at all likely to me ... For the third, I haven't seen any reasonable way to how you could make quantum computation impossible while still maintaining consistency with current experimental results.
answered Aug 17 '12 at 14:11 Peter Shor
Commentaire: @Peter Shor: I have always opted for your 3rd possibility: the "error correcting codes" will eventually fail. The quantum computer will not work perfectly (It will be beaten by a classical computer, but only if the latter would be scaled to Planckian dimensions). This certainly has not yet been contradicted by experiment. – G. 't Hooft Aug 17 '12 at 20:45
Signalons que pour le moment il semble que la physique expérimentale ne soit pas encore parvenue à réfuter la prévision de 't Hooft.
La nature est(-elle) plus folle à l'échelle de Planck que les théoriciens des cordes peuvent l'imaginer(?)
Voilà une formule que l'on emprunte presque littéralement à un passage de l'article fondateur de 1993 écrit par 't Hooft et cité précédemment. Le lecteur peut la voir comme un clin d'oeil à un célèbre blogueur très critique aujourd'hui comme hier envers un modèle déterministe supposé sous-tendre la mécanique quantique dont 't Hooft est l'auteur. Lubos Motl, pour ne pas le citer, profite de la prépublication d'un long article de synthèse du physicien hollandais sur ce sujet pour attaquer un de ses postulats: l'existence d'une base ontologique dans l'espace de Hilbert qui décrit les états possibles d'un système quantique. Comme à son habitude Lubos développe une argumentation qui s'appuie sur des exemples de grande valeur pédagogique pour qui veut comprendre la physique quantique; mais son analyse de la thèse qu'il critique nous semble trop superficielle pour que le lecteur se fasse une idée précise du pouvoir heuristique de cette dernière et de ses enjeux épistémologiques.
On se contentera pour notre part (pour le moment) de mettre en exergue les points suivants qui nous paraissent intéressants:
Voilà une formule que l'on emprunte presque littéralement à un passage de l'article fondateur de 1993 écrit par 't Hooft et cité précédemment. Le lecteur peut la voir comme un clin d'oeil à un célèbre blogueur très critique aujourd'hui comme hier envers un modèle déterministe supposé sous-tendre la mécanique quantique dont 't Hooft est l'auteur. Lubos Motl, pour ne pas le citer, profite de la prépublication d'un long article de synthèse du physicien hollandais sur ce sujet pour attaquer un de ses postulats: l'existence d'une base ontologique dans l'espace de Hilbert qui décrit les états possibles d'un système quantique. Comme à son habitude Lubos développe une argumentation qui s'appuie sur des exemples de grande valeur pédagogique pour qui veut comprendre la physique quantique; mais son analyse de la thèse qu'il critique nous semble trop superficielle pour que le lecteur se fasse une idée précise du pouvoir heuristique de cette dernière et de ses enjeux épistémologiques.
On se contentera pour notre part (pour le moment) de mettre en exergue les points suivants qui nous paraissent intéressants:
... I do find that local deterministic models reproducing quantum mechanics, do exist; they can easily be constructed. The difficulty signalled by Bell and his followers, is actually quite a subtle one. The question we do address is: where exactly is the discrepancy? If we take one of our classical models, what goes wrong in a Bell experiment with entangled particles? Were assumptions made that do not hold? Or do particles in our models refuse to get entangled? ...
The evolution is deterministic. However, this term must be used with caution. “De- terministic” cannot imply that the outcome of the evolution process can be foreseen. No human, nor even any other imaginable intelligent being, will be able to compute faster than Nature itself. The reason for this is obvious: our intelligent being would also have to employ Nature’s laws, and we have no reason to expect that Nature can duplicate its own actions more efficiently than itself. ...
... There are some difficulties with our theories that have not yet been settled. A recurring mystery is that, more often than not, we get quantum mechanics alright, but a hamiltonian emerges that is not bounded from below. In the real world there is a lower bound, so that there is a vacuum state. A theory without such a lower bound not only has no vacuum state, but it also does not allow a description of thermodynamics using statistical physics. Such a theory would not be suitable for describing our world. How serious do we have to take this difficulty? We suspect that there will be several ways to overcome it, the theory is not yet complete, but a reader strongly opposed to what we are trying to do here, may well be able to find a stick that seems suitable to destroy our ideas. Others, I hope, will be inspired to continue along this path. There are many things to be further investigated, one of them being superstring theory. This theory seems to be ideally suited for the approach we are advocating.
G. 't Hooft, The Cellular Automaton Interpretation of Quantum Mechanics, 7/05/2014
Prophétie à propos d'une symétrie conformationnelle locale exacte de la Nature (mais spontanément brisée en deçà de l'échelle de Planck)
Au delà de ce débat sur l'interprétation de la mécanique quantique, le
travail de 't Hooft offre l'occasion de voir un chercheur en action,
prêt à élaborer et défendre des hypothèses audacieuses en construisant des modèles aussi précis que possible (et dans une certaine mesure réfutables) pour voir jusqu'où peuvent le guider selon son point de vue les concepts qui ont si bien servit la physique comme la
causalité et la localité.
Voici pour finir une dernière de ses conjectures qui aura peut-être un plus grand avenir, telle qu'elle est évoquée sur son site personnel:
Voici pour finir une dernière de ses conjectures qui aura peut-être un plus grand avenir, telle qu'elle est évoquée sur son site personnel:
I claim to have found how to put quantum gravity back in line so as to restore quantum mechanics for pure black holes. It does not happen automatically, you need a new symmetry. It is called local conformal invariance. This symmetry is often used in superstring and supergravity theories, but very often the symmetry is broken by what we call “anomalies”. These anomalies are often looked upon as a nuisance but a fact of life. I now claim that black holes only behave as required in a consistent theory if all conformal anomalies cancel out. This is a very restrictive condition, and, very surprisingly, this condition also affects the Standard Model itself. All particles are only allowed to interact with gravity and with each other in very special ways. Conformal symmetry must be an exact local symmetry, which is spontaneously broken by the vacuum, exactly like in the Higgs mechanism.
This leads to the prediction that models exist where all unknown parameters of the Standard Model, such as the finestructure constant, the proton-electron mass ratio, and in fact all other such parameters are computable. Up till now these have been freely adjustable parameters of the theory, to be determined by experiment but they were not yet predicted by any theory.
I am not able to compute these numbers today because the high energy end of the elementary particle properties is not known. There is one firm prediction: constants of Nature are truly constant. All attempts to detect possible space and time dependence of the Standard Model parameters will give negative results. This is why I am highly interested in precision measurements of possible space-time dependence of constants of Nature, such as the ones done by using a so-called "frequency comb". These are high precision comparisons between different spectral frequencies in atoms and molecules. They tell us something very special about the world we live in.
't Hooft
//Rédaction et dernières retouches éditoriales le jeudi 22 mai 2014.
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