lundi 3 mars 2014

"Règle de trois" heuristique dans le champ des possibles physiques: "plus de particules, un nouvel éther, ou une meilleur modélisation de l'espace"

Les physiciens des hautes énergies n'aiment pas le bouillon que la nature leur sert...
La blogosphère se fait l'écho ces temps-ci des réflexions autour de l'opportunité de poursuivre la course aux hautes énergies avec la construction éventuelle d'un accélérateur de 100 TeV au regard du "peu" de nouvelles particules élémentaires découvertes lors du premier round de fonctionnement du LHC - le plus grand accélérateur actuel - qui a déjà atteint 8 TeV et devrait fonctionner à 14 TeV à partir de 2015. Matt Strassler est le dernier en date à ma connaissance à discuter du sujet de manière détaillée et simple sur son blog. On peut aussi le voir à la fin de cette vidéo débattre de la question en termes techniques avec entre autre Nima Arkani Hamed, David Gross et Nathan Seiberg, trois éminents physiciens théoriciens et spécialistes de la théorie des cordes (une retranscription du débat accompagnée du commentaire d'un blogueur qui connait bien ces physiciens et la théorie des cordes se trouve ici). 

...les physiciens des solides y ont pourtant déjà mis un grain de sel qui rend le bouillon moins amère...
Or donc la soupe de particules produites par les collisions proton-proton à 8 TeV du LHC est trop claire aux yeux des physiciens des hautes énergies et certains s'inquiètent de l'impossibilité théorique d'enrichir leur soupe en récoltant des preuves expérimentales de particules supersymétriques (sans parler d'indices pour des dimensions supplémentaires de l'espace-temps) à l'échelle de la dizaine de TeV (accessible dans un futur proche au LHC). Alors la physique des particules ou du moins celle des accélérateurs géants risque-t-elle de boire le bouillon pour parler familièrement? Le spectre de l'abandon du programme de construction du SSC américain hante les mémoires des plus avertis...  D'aucuns à ce sujet se complaisent parfois à souligner le rôle qu'a pu jouer un éminent spécialiste de la physique des solides, Philip W. Anderson, qui plaida contre la construction de cet accélérateur qui aurait dû pouvoir atteindre 40 TeV. Le mieux pour dépasser un éventuel ressentiment est sûrement de lire une très intéressante entrevue du courrier du CERN avec un (le plus?) éminent spécialiste de physique des particules, Steven Weinberg (faite à l'occasion d'une conférence sur les 50 ans de la théorie BCS) : I remember that Phil Anderson and I testified in the same Senate committee hearing on the issue, he against the SSC and I for it. His testimony was so scrupulously honest that I think it helped the SSC more than it hurt it.

Mais ce qui est vraiment intéressant pour le sujet qui nous intéresse c'est ce que dit Weinberg un peu plus loin dans l'entrevue déjà citée:

During the SSC debate, Anderson and other condensed-matter physicists repeatedly made the point that the knowledge gained in elementary-particle physics would be unlikely to help them to understand emergent phenomena like superconductivity. This is certainly true, but I think beside the point, because that is not why we are studying elementary particles; our aim is to push back the reductive frontier, to get closer to whatever simple and general theory accounts for everything in nature. It could be said equally that the knowledge gained by condensed-matter physics is unlikely to give us any direct help in constructing more fundamental theories of nature.
...
Condensed-matter physics and particle physics are relevant to each other, despite everything I have said. This is because, although the knowledge gained in elementary-particle physics is not likely to be useful to condensed-matter physicists, or vice versa, experience shows that the ideas developed in one field can prove very useful in the other. Sometimes these ideas become transformed in translation, so that they even pick up a renewed value to the field in which they were first conceived. 
The example that concerns me is an idea that elementary-particle physicists learnt from condensed-matter theory – specifically from the BCS theory. It is the idea of spontaneous symmetry breaking.
Steven Weinberg, From BCS to the LHC, 21/01/2008 

Où l'on voit que Weinberg souligne la différence de nature autant que de culture entre physiciens du solide à la recherche de lois émergentes et physiciens des particules en quette de réductionnisme, les premiers manipulant des théories aux approximations sinon mal définies, souvent peu contrôlées quand les autres s'enorgueillissent de calculs perturbatifs à la précision diabolique. Mais Weinberg insiste surtout sur le rôle crucial des réflexions sur la phénoménologie de la physique du solide pour l'élaboration conceptuelle du mécanisme de brisure spontanée de la symétrie électrofaible par des physiciens comme le désormais célèbre Peter Higgs. Ce dernier l'explique aussi parfaitement dans sa récente conférence Noble citant en particulier Nambu et Goldstone mais aussi Anderson, lequel prophétisait au début des années 2000:

Strings make it possible to understand the Bekenstein limit on the entropy of a black hole, which ... suggests that quantum gravity is, in some sense, able to create ist own "convergence factor" : to prevent the infinite subdivision of space and time. But between here and the Planck limit there is still the probability (rather than a mere "possibility") of enormous surprises. The great variety of unexpectedly large or small parameters in the Standard Model (the neutrino mass the latest to appear) makes it almost certain that there are several further stages in the hierarchy. The first of these will appear in the next decade, certainly, when we will probably discover unexpected complexity in the Higgs phenomenon. (A personal guess: but no supersymmetry). 
Philip W. Anderson, 21st Century Physics in More is Different.

Jusqu'à aujourd'hui on peut dire que le physicien des solides est dans le vrai, si ce n'est qu'en matière de complexité inattendue du phénomène de Higgs, il faut plutôt parler de simplicité effective du boson de Higgs dans la mesure où ses propriétés semblent en accord avec le modèle le plus simple prévu celui du Modèle Standard et de l'extrême non naturalité  de ses paramètres qui fait consensus ou presque... 

Et si quelques physiciens hardis et mathématiciens savaient voir non pas un bouillon à boire mais une soupe à manger pour grandir?
... à suivre (où l'on verra que quelques physiciens tentent de voir dans le boson de Higgs un pont qui mènerait très loin, à l'époque de l'inflation cosmologique en fait, et permettrait de monter très haut sur l'échelle des énergies, pas très loin du barreau de Planck)

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