mardi 8 janvier 2013

Verrons-nous des ondes gravitationnelles en 2013 ?

Après une année 2011 qui vit la communauté scientifique embarrassée par une fausse découverte qui semblait remettre en cause une propriété fondamentale de la relativité restreinte (voir le premier billet de ce blog), l'année 2012 a vu au contraire la même communauté fêter sans réserve l'annonce officielle de la découverte d'une nouvelle particule décrite comme probablement la dernière pierre de la plus imposante cathédrale théorique qu’ait jamais érigée l'Humanité à savoir le modèle standard de la physique des particules; modèle standard que l'expression ci-dessous résume dans toute sa sophistication formelle mais aussi toute sa magnificence ésotérique puisque l'art contemporain s'en est pour ainsi dire saisie, preuve en est sa reproduction (p 150) dans le catalogue de l'exposition "MATHEMATIQUES un dépaysement soudainqui s'est tenue à la fondation Cartier à Paris entre octobre 2011 et mars 2012.
         
Densité Lagrangienne du modèle standard minimal 
(pour le détail des notations et des choix de jauges voir p 161-2 de ce livre)

On peut alors se demander, dans l'enthousiasme de la passion pour la physique contemporaine qui vibre encore après la découverte du boson de Higgs, si la nouvelle année 2013 ne pourrait pas voir la première mise en évidence expérimentale directe, autrement dit la détection sur Terre, d'une onde gravitationnelle, cet objet emblématique d'une autre grande théorie de la physique fondamentale : la relativité générale, théorie plus belle que le modèle standard si on entend par beauté sa fulgurante simplicité dans la formulation lagrangienne (dite de Einstein-Hilbert) :


En fait il semble qu'un pronostique mieux informé (commenté sur le blog de Sean Carroll) ait fait en août dernier le pari d'une possible mise en évidence expérimentale directe entre ... 2014 et 2017 (si temps est que deux trous noirs soient jamais rentrer en collision quelque part dans l'univers et pas trop loin de la Terre ...). 

Quoiqu'il en soit : très bonne année à tou-te-s et bon courage particulièrement aux valeureu-ses-x et patient-e-s physicien-ne-s  expérimentat-rice-eur-s et autres ingénieur-e-s qui chassent les ondes gravitationnelles ici ou !

Mise à jour importante ici (et désormais félicitations à toutes les précédentes personnes citées, heureuses observatrices directes d'ondes gravitationnelles!)

lundi 7 janvier 2013

Il n'y a (pas) que la théorie quantique des champs qui compte (dans la vie de tous les jours)

Sans commentaire \\ou presque (5)
Après trois ou quatre billets consacrés à un même sujet particulièrement ardu (au risque de paraître abscons) essayons de faire contrepoids avec ces propos de Pierre Gilles de Gennes (Prix Nobel de physique 1991) tirés d'une conférence en anglais : Soft Interfaces (The 1994 Dirac Memorial Lecture).
Compared with the giants of quantum physics, we soft-matter theorists look like the dwarfs of German folk tales. These dwarfs were often miners or craft-workers : we, also, are strongly motivated by industrial purposes. We see fundamental problems emerging from practical questions - aquaplaning leads to a new form of dewetting, etc. But there is another, equally important motivation: the challenges of everyday life. Let me take an example, which I owe to the director of the Tefal company. These days a lot of time is still spent on ironing: in a country the size of England, something like ten million people ironing for one hour a week. If, by some intelligent reflection, we can gain, say, six minutes on this hour, a 10% effect, we are saving 10^5 man-hours per day - we are providing a non-negligible improvement for many individuals who come back exhausted from their work. Personnaly I would feel more proud to achieve this than to solve an elegant formal problem in statistical physics (Unfortunately, I fail on both counts.)
   En comparaison avec les géants de la physique quantique, nous théoriciens de la matière molle ressemblons aux nains des contes populaires allemands. Ces nains étaient souvent mineurs ou artisans : nous aussi, nous sommes fortement motivés par des fins industrielles. Nous voyons les problèmes fondamentaux émergés de questions pratiques - l'aquaplaning conduit à une nouvelle forme de démouillage, etc Mais il y a une autre motivation, tout aussi importante : les défis de la vie quotidienne. Permettez-moi de prendre un exemple, que je dois au pdg de la société Tefal. Aujourd'hui beaucoup de temps est toujours consacré à repasser : dans un pays de la taille de l'Angleterre, environ dix millions de personnes repassent une heure par semaine. Si, par une réflexion intelligente, nous pouvons gagner, disons, six minutes sur cette heure, soit un effet de 10%, nous économisons 10^5 heures par jour - nous offrons une amélioration non négligeable pour de nombreuses personnes qui reviennent épuisées de leur travail. Personnellement, je me sentirais plus fier de parvenir à cette tâche que de résoudre un problème formel élégant en physique statistique (malheureusement, j'ai échoué dans les deux cas).

Si de Gennes a aujourd'hui malheureusement disparu, le groupe des Surfaces Douces poursuit avec beaucoup d'autres équipes de chercheurs, en France et à travers le monde, des thématiques proches des siennes.

jeudi 13 décembre 2012

Happy Higgsmas 2012!

Le vrai jour où la découverte du boson de Higgs (ne) fut (pas tout à fait) annoncée 
L'annonce publique officielle de la découverte du boson de Higgs est bien datée du 4 juillet 2012 mais le chasseur de scoop scientifique ou le blogueur amateur de science sait qu'un séminaire publique se teint le mardi 13 décembre 2012 lors duquel les physiciens du CERN communiquèrent prudemment sur la possibilité de la détection d'une nouvelle particule de masse voisine de 125 GeV mais avec une pertinence statistique de seulement trois sigma, insuffisante pour l'annonce officielle d'une découverte comme l'annonçait le jour précédent Sean Carroll sur son blog Cosmic Variance. Peut-être cette non-annonce s'expliquait par la nécessité de couper court aux rumeurs qui diffusaient sur la blogosphère et la volonté de remettre un peu de sérénité dans la communauté scientifique en quête du Higgs, elle  donnait aussi l'occasion aux équipes du CERN de montrer elur sérieux et de ne pas répéter des erreurs passées comme l'explique très bien Giulio d'Agostini dans cet article.
Quoiqu'il en soit Phil Gibbs dont le blog vixra log fut semble-t-il le premier à avoir accueilli dans ses commentaires la rumeur d'un "Higgs à 125 GeV" fut heureux de commenter en direct ce fameux séminaire du 13 décembre et fut comme d'autres convaincu de la véracité du "signal" identifié. L'avenir a donné raison à tous, les prudents et les enthousiastes : parmi lesquels Flip Tanedo qui immortalisa par anticipation cette journée par une chanson : The Night before Higgsmas.

Qu'y a-t-il de nouveau aujourd'hui dans nos petits souliers ?
Nous sommes aujourd'hui le 13 décembre 2012, un an après ce séminaire et c'est la date qu'a choisi la collaboration ATLAS pour annoncer ses dernières investigations sur le Higgs. A la lecture du dernier billet  du blog Resonaances sur le sujet, publié il y a moins de deux heures et intitulé malicieusement Twin Peaks in ATLAS il semble que le microscope de l'infiniment petit que représentent le LHC et le détecteur ATLAS ait peut-être un problème de mise au point lorsqu'il se penche sur les différents canaux de désintégration du Higgs puisqu'il voit double pour ainsi dire ...

\\ajout du 15 décembre : 
La courbe ci-dessus indique les deux valeurs de masse différentes mesurées par ATLAS pour le supposé boson de Higgs selon deux canaux de désintégration particuliers. Pour en savoir plus on peut lire ce billet en français du blog Quantum Diaries.

samedi 8 décembre 2012

Après la géométrie Euclidienne et la géométrie Riemannienne, une géométrie Galoisienne pour la physique?

Sans commentaire // ou presque (5)

Comment sauver encore une fois la théorie quantique des champs (TQC) au XXIème siècle? 
A tout seigneur tout honneur, donnons la parole à Steven Weinberg l'un des pères du Modèle Standard, lequel n'est rien d'autre que le nom commun de la théorie quantique des champs la plus couronnée de succès à ce jour. Dans cette conférence donnée sous le Globe du CERN le 7 juillet 2009, le célèbre physicien américain expose ses vues sur les hauts et les bas dans l'histoire de la TQC : sa présentation débute avec l'image ci-dessous décrite comme représentation des fluctuations "boursières" de la valeur de la TQC sur le marché des théories physiques ...


                                                                                                                                            
Comme on le voit l'action "TQC" est en baisse depuis les années 80 qui ont vu l'avènement des théories des supercordes qui dominent depuis le marché ... Néanmoins Weinberg termine son exposé sur l'hypothèse de sécurité asymptotique d'une théorie quantique du champ de gravitation, concept qu'il a proposé en 1979 comme une généralisation de celui de liberté asymptotique qui avait permis de réhabiliter la TQC quelques années auparavant (voir billet précédent). Et même s'il juge alors les chances d'une validation de cette hypothèse comme minces, accordant plus de crédit aux théories des supercordes, il remarque cependant des progrès récents sur la voie de la validation du scénario de la sécurité asymptotique (en gros l'existence d'une théorie quantique du champ de gravitation renormalisable dans un cadre non-perturbatif) et finit  même son exposé à peu près sur ces mots:
Je ne veux pas décourager les théoriciens des cordes mais la possibilité existe que le monde ne soit pas tel qu'ils l'envisagent mais qu'il soit au contraire plus proche de ce que nous savons déjà de lui à savoir le modèle standard "plus" la relativité générale ...
Pour élargir l'horizon des possibles au delà des théories des cordes et aborder l'histoire du développement de la TQC sous un autre angle, il est intéressant de se pencher sur l'exposé suivant (en français) : Renormalisation non commutative (28 avril 2007) du physicien théoricien Vincent Rivasseau qui brosse un panorama assez large des différents  aspects du non-commutatif. On peut d'abord y lire ce résumé :
... la théorie [quantique] des champs et la renormalisation réussirent au début des années 70 un come-back spectaculaire:

- Weinberg et Salam unifièrent interactions électromagnétiques et faibles à l’aide du formalisme de Yang et Mills de théories de jauge dites non-abéliennes, c’est à dire basées sur une symétrie interne non commutative.

- ’tHooft et Veltmann réussirent le tour de force de montrer que ces théories de jauge sont encore renormalisables, en particulier à l’aide d’un nouvel outil technique, la [régularisation] dimensionnelle.

- ’t Hooft dans un travail non publié, puis Politzer, Gross et Wilczek découvrirent en 1973 que ces théories ne souffraient pas du fantôme de Landau. Gross et Wilczek proposerent alors une théorie de ce type, QCD  [chromodynamique quantique] pour décrire les interactions fortes ou nucléaires.

Meanwhile, perturbative renormalization was embarrassingly effective in describing reality, and kept QFT, understood as an expansion in Feynman graphs, in its role as the best-tested and most-used workhorse in the stables of theoretical physics. It is commonly denied the status of being a theory these days though, as at the moment of writing it is not yet defined in mathematically satisfying terms.
It is a personal belief of the author that this is not testimony for bigger (read extended) things hiding behind local quantum fields, but rather testimony to the subtlety by which nature hides its concepts.
On an optimistic nore, I indeed believe that the clear mathematical understanding we have now of the practice of perturbative renormalization paves the way for a mathematical consistent approach to QFT which bridges the gap between what practitioners of QFT have learned, and what is respectable mathematics.
                                                           Dirk Kreimer Algebra for quantum fields (juin 2009).

Après les succès des théories de jauge non-abéliennes sur l'espace-temps ordinaire, quelles promesses offrent les géométries non-commutatives ? 
Explorer ce que devient la théorie des champs en géométrie non commutative et en particulier dans l’espace de Moyal [travaux de H. Grosse et R. Wulkenhaar] est ... suggéré à la fois par l’examen attentif du modèle standard et par la théorie des cordes.
Mais une autre motivation profonde vient de la physique ordinaire en champ fort. Il peut d’ailleurs s’agir de physique des particules ou de matière condensée. L’exemple le plus évident est celui de l’effet Hall quantique [travaux de V. Pasquier et A. Polychronakos]. 
Mais on peut aussi penser à d’autres problèmes en champ fort comme le confinement des quarks, ou la croissance de polymères chargés sous fort champ magnétique. L’utilisation des techniques de géométrie non commutative pourrait aider à comprendre des effets très difficiles à étudier parce qu’ils sont non-perturbatifs et non-locaux dans le langage de la géométrie ordinaire. 
                                                                                                          Vincent Rivasseau  ibid.

The lack of a simple geometric interpretation of the new terms added to the Lagrangian to generate the masses leads to many theoretical speculations denying any fundamental significance to the Higgs particle. As we see below, noncommutative geometry indeed provides a simple geometric interpretation of the new terms. 
Alain Connes, Matilde Marcolli Noncommutative Geometry, Quantum Fields and Motives (novembre 2007).

Our approach is inspired by Connes’ ideas ... but we attempt to generalize general Riemannian - rather than spin-geometry purpose of our note is to provide natural geometrical interpretations of various scalar fields, such as an axion, a dilaton and a Higgs field, ... As in Connes’ approach, "space-time" will have the structure of two copies of the usual four-dimensional space-time carrying (a priori massless) left-handed and right-handed spinors, respectively. This is reminiscent of a fivedimensional generalization of the quantum Hall effect ..., the extra fifth dimension being treated as a discrete two-point set.  
The axion will turn out to be the "fifth" component of the electromagnetic vector potential, the dilaton to be a gravitational degree of freedom associated with the discrete fifth dimension, and the Higgs field will appear as a component of the electroweak gauge field that induces tunneling processes between the two sheets of "space-time"and provides masses to the fermions and to the W- and Z gauge bosons...
Ali H. Chamseddine, J. Fröhlich, B. Schubnel, D. Wyler Dimensional Reduction without Continuous Extra Dimensions (janvier 2012).


La non-commutativité (de "l'espace") comme alternative à la supersymétrie?
Il y a plusieurs façons de rendre un espace non-commutatif et différents espaces susceptibles de l'être, de plus l'espace-temps des uns n'est pas toujours exactement le même que celui dont parlent les autres c'est particulièrement vrai dans le cas de la confrontation des modèles évoqués par Rivasseau et celui développé (et raffiné récemment) par Connes et Marcolli dans ces différents extraits :
Si à une échelle (hypothétique) comprise entre l’échelle du Tev et l’échelle de Planck l’espace-temps ordinaire lui aussi devient non-commutatif, il faut sans doute utiliser le groupe de renormalisation non commutatif à partir de cette échelle.

Un des arguments les plus forts pour l’existence de supersymétrie est que cela aide à la convergence des couplages U(1), SU(2) et SU(3) du modèle standard...

Mais cette convergence pourrait aussi se produire en vertu d’un flot modifié par la non-commutativité de l’espace-temps.  
                                                                                                           Vincent Rivasseau ibid. 

 The model of space-time given by the product of a continuous four dimensional manifold times a  noncommutative discrete space has many advantages. It allowed us to obtain the Standard Model with the correct representation for the 16 fermions, the correct gauge fields and a Higgs doublet associated with the discrete dimension, thus providing a geometric origin for the Higgs field as a gauge field associated to the finite space...
The noncommutative approach predicts all the fermionic and bosonic spectrum of the standard model, and the correct representations. In addition to the Higgs field, there exists a neutral singlet field, whose [vacuum expecttion value] gives Majorana mass to the right-handed neutrino. The existence of the singlet is responsible for the breakdown of the symmetry of the discrete space from H ⊕ H ⊕ M4 (C) to C ⊕ H ⊕ M3 (C) and thus plays a central role. One can also take as a prediction that there are no other particles to be discovered, except for the three scalar fields: the Higgs field, the singlet field and the dilaton field ... The dynamics of the fields are governed by the interactions obtained from the spectral action principle, which is based on using a function of the Dirac operator defining the metric of the noncommutative space... 
The lesson we learned from this analysis is that we have to take all the fields of the noncommutative spectral model seriously, without making assumptions not backed up by valid analysis, especially because of the almost uniqueness of the Standard Model in the noncommutative setting. In this respect this should motivate us to address the remaining questions in the noncommutative Standard Model. In particular it is important to resolve the issue of providing a way to make the three gauge couplings meet at some unification scale.
Ali H. Chamseddine, Alain Connes Resilience of the Spectral Standard Model (août 2012)

A realistic Higgs mass estimate of 126 GeV was obtained by Shaposhnikov and Wetterich ... , based on a renormalization group analysis ... In this setting, the renormalization group equations (RGE) for the matter sector acquire correction terms coming from the gravitational parameters ... These ... terms ... make the matter couplings asymptotically free ... 
We discuss the implications of using this RGE flow on the particle physics models based on the spectral action functional. In particular, one can obtain in this way a realistic Higgs mass estimate without introducing any additional [singlet scalar field] content to the model ... but the fact that the RGE with anomalous dimensions lead to a "Gaussian matter fixed point" at high energies requires a reinterpretation of the geometric constraints at unification energy imposed by the geometry of the spectral action models ... 

Un groupe de Galois cosmique pour mieux comprendre la renormalisation des théories quantiques des champs physiques

... en science, il faut trouver de temps a autre un mot qui frappe. Ren é Thom avait invent é le mot \catastrophe", Mandelbrot avait invent é le mot fractal", Alain Connes a cr éé la g éom étrie non commutative", etc. Ce sont des mots qui expriment non n écessairement une d éfinition tr ès pr écise, mais en tout cas un programme de recherche qui vaut la peine d'être poursuivi. Alors, qu'est le groupe de Galois cosmique ? Justement, ce qui m'a permis de formuler cette notion est que j'ai suivi de pr ès tout au long de ma carri ère les d éveloppements en physique math ématique. Ce qui m'a frapp é est qu'Alain Connes et [Dirk] Kreimer ont reformul é de mani ère totalement nouvelle le probl ème de ce que l'on appelle la renormalisation en physique ... grâce à l'introduction d'un groupe nouveau qui se d écrit directement en termes de ... diagrammes [de Feynman]... 
D'un autre côt é, il y a un certain nombre de travaux auxquels j'ai collabor é, en math ématiques proprement dites, o ù l'on s'int éresse a des s éries et à des int égrales qui repr ésentent des nombres g én éralisant les puissances de pi ou les valeurs de la fonction zêta de Riemann. Il est utile d' étudier les relations entre ces nombres, qui étaient implicites ... dans le travail de Drinfeld ... On peut formuler ces propri ét és en introduisant un autre groupe, un groupe de sym étrie, qui correspond à peu pr ès à ce que Grothendieck avait appel é le groupe de Galois motivique. ...   
Quand on fait des calculs explicites des int égrales li ées aux diagrammes de Feynman, les constantes que l'on trouve sont du même type que celles que l'on étudie en th éorie des nombres. Alors, je me suis dit : "Il y a un groupe" et cela m'a conduit a une interpr étation du groupe d'Alain Connes et Kreimer comme un groupe de sym étrie qui porte sur les constantes fondamentales de la physique. Dans le mod èle standard des particules él émentaires, il y a une vingtaine de constantes, dont la seule d étermination connue est exp érimentale : on a un tableau de vingt nombres avec une plus ou moins grande pr écision pour faire coi ncider les pr édictions des mod èles avec les observations. Ce sont des constantes dont on n'a pas d'explication math ématique, que l'on ajuste simplement pour que cela colle avec les r ésultats exp érimentaux. Je pense que ce groupe-la exprime des sym étries d'un type nouveau entre ces constantes fondamentales de la physique. On n'a pas encore [*] étudi é les implications cosmologiques des id ées de Connes et Kreimer, mais il y en a certainement. Il est possible que l'histoire de notre univers d epende de mani ere tr es pr ecise de valeurs num ériques comme le rapport entre les masses des quarks. Mon rêve est une fusion compl ète entre les id ées de Connes-Kreimer et le groupe de Galois motivique de Grothendieck, Drinfeld ..., mais pour l'instant ce n'est qu'un programme de recherche.
 Interview de Pierre Cartier, men ée le 23 f evrier (2009), par Javier Fres an 

 //* la "cosmologie non-commutative" au sens où l'entend Cartier est aujourd'hui en développement grâce en particulier à Mathilde Marcolli et Mairi Sakellariadou ]

Après avoir courbé l'espace faut-il maintenant le flouter, le tordre, le faire mousser, rajouter des dimensions, le dédoubler ... pour mieux comprendre les anomalies et les ambiguïtés de nature Galoisiennes qui se cachent derrière les infinis de la TQC ?
Internet est rempli d'idées merveilleuses sur cette question. Mais un blog(ueur comme moi) est (d'esprit) trop étroit pour les citer toutes (et reconnaître les plus pertinentes).
                                      // une pirouette pour finir ce billet en forme de clin d'oeil à une citation célèbre...
            


mercredi 21 novembre 2012

Le physicien (ne) peut (pas) se passer du mathématicien (pour dériver le réel à partir des possibles imaginaires)

Néologisme à défaut d'anagramme
S i s y p h (i) e (n) = [physicien] sans {mathématicien} (et inversement?) 
Ce que ni ATLAS, ni CMS ni LHCb ne sont parvenus à trouver au LHC (pour le moment...)
Ce billet fait suite au précédent qui évoquait la situation de « crise » actuelle de la physique théorique des particules qui ne parvient pas à valider expérimentalement le paradigme hypothétique de la supersymétrie, lequel a été souvent présenté depuis la fin des années soixante-dix comme le plus prometteur pour prédire la physique au-delà du modèle standard (ce dernier ayant été achevé théoriquement dans la première moitié de cette même décennie). 
Il fait aussi écho au débat qui a agité récemment la blogosphère scientifique suite à l’annonce par la collaboration internationale LHCb d’une nouvelle percée expérimentale (après la découverte d’un boson de Higgs par les collaborations ATLAS et CMS) : la première détection de désintégrations rarissimes de mésons Bs en deux muons. Le taux de désintégrations ainsi le plus petit jamais mesuré est en accord avec les prédictions du Modèle Standard or « les théoriciennes et théoriciens qui sont convaincus qu'il existe une théorie plus complète » et qui cherchent à la mettre en évidence fondent beaucoup d’espoir sur de telles expériences … il y a donc de quoi être déçu d’autant que pour reprendre les mots de Pauline Gagnon sur le blog Quantum Diaries
« Ce nouveau résultat semble indiquer que la nouvelle physique sera plus difficile à révéler qu’on ne l’espérait. En attendant, cela permettra aux théoriciennes et théoriciens d’éliminer les nouveaux modèles inadéquats, ce qui finira éventuellement par les orienter dans la bonne direction. Entre temps, les expérimentateurs et expérimentatrices devront élaborer des techniques plus raffinées pour enfin mettre le doigt sur cette nouvelle physique. »
Le débat, qui n’est certes pas nouveau, entre défenseurs du paradigme supersymétrique et sceptiques sur son intérêt pour la physique des particules, a connu un regain qu'on a pu suivre à travers les blogs référencés par interactions.org. Il m’a semblé que le physicien Matt Strassler y jouait un rôle de commentateur voire d’arbitre, sinon impartial du moins intéressant par son argumentation physique et son soucis pédagogique qui caractérise son blog Of Particular Significance. Il y écrit en particulier ceci :
LHC data (and data from other sources) have ruled out a lot of variants of TeV-scale supersymmetry. But no, we’re not yet close to ruling out the full range of variants... 
Please note that I’m not telling you this because I’m some devotee of supersymmetry who believes deeply in his heart that we’ll someday find it, and is trying to persuade you not to give up... long, painful slog lies ahead, during which particle physicists — theorists and experimentalists — will painstakingly cover all the possible variants of supersymmetry, and slowly but surely determine whether or not supersymmetry is absent at the TeV scale
Les données du LHC (et des données provenant d'autres sources) ont exclu un grand nombre de variantes de la supersymétrie à l'échelle du TeV. Mais non, nous ne sommes pas encore près de statuer sur toute la gamme des variantes ...  S'il vous plaît notez que je ne vous dis pas cela parce que je suis un adepte de la supersymétrie qui croit profondément dans son cœur que nous allons un jour la trouver, et essaie de vous convaincre de ne pas abandonner ... Une longue et douloureuse corvée nous attend, au cours de laquelle les physiciens des particules - théoriciens et expérimentateurs - passeront soigneusement en revue toutes les variantes possibles de supersymétrie, et lentement mais sûrement ils détermineront si oui ou non la supersymétrie est absente à l'échelle du TeV.
Bref, la tache du physicien ressemble fort à celle d'un Sisyphe moderne.

Qui dit audace ne dit pas forcément spéculation 
\\complété le mardi 4/12/12
Et si, plutôt que de se focaliser sur le débat autour de théoriciens qui poursuivent des spéculations que d'aucuns jugent peu étayées physiquement, on s'intéressait davantage à des mathématiciens prenant au sérieux les solutions des physiciens et des physiciens écoutant ce que les mathématiciens ont à leur dire sur leurs équations communes. Cette démarche combinée semble parfois former comme l'alambic d'une patiente distillation, celle par exemple :
distillation opérée en particulier par un mathématicien obstiné (voir billet précédent) accompagné d'autres pionniers comme ici ou qui tracent leurs chemins presque parallèles au sien.
Si ce n'est pas de l'audace, c'est au moins du courage qu'il faudra aux futurs physiciens pour investir et cultiver à leur profit le champ mathématique sauvagement abstrait dans lequel poussent pour le moment les fruits du modèle spectral sur un espace presque commutatif; la promesse de futures vendanges plus abondantes pour leur discipline est peut-être à ce prix.
Mais la véritable audace, elle est à mon avis dans le pas qu'il faut franchir pour dépasser nos intuitions spatiales et temporelles présentes, celles issues de nos interactions passées avec un environnement classique à travers la médiation de nos sens et de nos outils ordinaires d'autrefois. Il faut maintenant habiter pleinement le nouveau monde plus subtil qui s'offre à nous à travers des nouvelles technologies littéralement quantastiques et qui nous révèlent une nature quantordinaire insoupçonnée.
C'est dans cet esprit que la démarche d'Alain Connes, ce mathématicien fasciné par les découvertes des physiciens quantiques, est passionnante car j'y vois, outre ses succès jugés encore trop formels dans un passé récent (et ses prises de positions trop franches), un approfondissement non seulement mathématique mais épistémologique de la physique quantique de la seconde moitié du XXème siècle, approfondissement que je ne vois pas présent dans la théorie des cordes, la M-théorie ou plus simplement la supersymétrie ;
approfondissement pourtant attendu sinon espéré depuis de longues années par un mathématicien/physicien comme Freeman Dyson (une des grandes figures de la renormalisation de l'électrodynamique quantique) dans un texte fameux. Or il est frappant de voir à quel point de nombreux aspects du travail de Connes peuvent, à travers la grille de lecture précédente, être vus comme la volonté implicite de "réparer"  certaines des opportunités manquées signalées par Dyson.


Comment la théorie quantique des champs fut sauvée dans les années 70?
Quoi de mieux pour méditer sur les crises passées de la physique des particules et leurs résolutions qu’une lecture croisée de deux textes décrivant les réflexions de deux grands physiciens qui furent au cœur des évènements dans ces fameuses années soixante-dix ? Commençons par le principal artisan de la démonstration effective de la renormalisabilité du Modèle Standard : Gerard 't Hooft : 


Et, dans un soucis de réhabilitation historique pour mieux faire connaître les héros parfois trop méconnus de la physique quantique derrière le rideau de fer ou par simple soucis esthétique de donner à voir une symétrie Est/Ouest autrefois manifeste (aujourd'hui quelque peu brisée ou cachée) dans l'élaboration de la physique et des mathématiques, je signale ce texte, beaucoup plus autobiographique que le précédent  : 


écrit par Alexander Markovich Polyakov, "le meilleur physicien qu'il m'ait été donné de rencontrer" selon une formule entendue dans la bouche de Thibault Damour en novembre 1996 pendant un séminaire alors que j'étais étudiant. Polyakov y décrit ses premiers travaux des années 60 aux années 70 alors qu'il était encore en Russie (il vit aujourd'hui aux Etats-Unis), comment il brava pour ainsi dire l'interdit du légendaire Landau en travaillant sur la théorie quantique des champs, découvrant pour ainsi dire le mécanisme de Higgs avec Alexander Migdal. En 1974 il découvre au même moment que 't Hooft des "monopôles magnétiques non abéliens" qui porteront désormais leurs noms; il s'agit de solutions complètement inattendues aux équations de Yang-Mills Higgs qui permettent d'établir une sorte de dualité entre électricité et magnétisme, dualité qui servira plus tard à la compréhension du phénomène de confinement des quarks en chromodynamique quantique, avant d'être considérablement généralisée par Edward Witten et d'autres pour devenir une des pièces centrales de la théorie des supercordes et des branes et connaître de formidables développements effectifs en mathématiques et spéculatifs (jusqu'à ce jour) en physique comme le raconte très bien Daniel Bennequin dans un riche article intitulé : Dualités de champs et de cordes.
\\ Suite et fin de la réflexion au billet prochain

mardi 13 novembre 2012

La physique théorique (des particules) est en crise ? Sauvons-la par plus d'audace !

Crise = > danger 
Le physicien américain d'origine lettone Mikhail Shifman a récemment écrit un texte dans lequel il commente les résultats d'une grande conférence de physique des particules, la 3ème manifestation de Frontières au delà du Modèle Standard qui s'est tenue au FTPI en octobre 2012. Il y brosse une intéressante perspective historique de la situation de la physique théorique des hautes énergies sur les quarante dernières années (pour un petit rappel succinct de la situation expérimentale sur les cent dernières années voir par exemple ici). Il affirme en particulier : 
Experimental guidance started fading away after the November revolution of 1974 – the discovery of heavy charmonium. The role played by experiment continued to decrease steadily for quite some time, until it became almost invisible. In High Energy Physics theory this effect coincided with a transition ... into a different mode of operation ... each novel idea, once it appears, spreads in an explosive manner in the theoretical community, sucking into itself a majority of active theorists, especially young theorists. Naturally, alternative lines of thought by and large dry out. 
L'expérience comme boussole [pour s'orienter dans l'investigation théorique] a commencé à cessé de fonctionner après la révolution de Novembre 1974 - la découverte du charmonium lourd. Le rôle joué par l'expérience a continué à baisser progressivement pendant un certain temps, jusqu'à ce qu'il devienne presque invisible. En physique théorique des hautes énergies cet effet a coïncidé avec une transition ... vers un mode de fonctionnement différent ... chaque nouvelle idée, dès son apparition, se propage de manière explosive dans la communauté théorique, aspire littéralement vers elle la majorité des théoriciens actifs, en particulier les théoriciens jeunes. Naturellement les écoles de pensée alternatives se retrouvent dans l'ensemble exsangues. (traduction libre).
Il n'est pas besoin d'être un expert dans ce domaine pour voir dans cet état de fait un danger pour le bon fonctionnement de cette branche de la physique. Il poursuit plus loin :
... by mid-1980 [string theory] raised expectations for the advent of “the theory of everything” to Olympic heights. I think, by now, the “theory-of-everything-doers” are in disarray, and a less formal branch of string theory is in crisis [footnote : a more formal branch evolved to become a part of mathematics or (in certain occasions) mathematical physics].

... à partir du milieu des années 80, [la théorie des cordes] a placé la barre des attentes pour l'avènement de "la théorie du tout"à un niveau olympique. Je pense que maintenant les "faiseurs de théorie du tout" sont en plein désarroi, et la branche la moins formelle de la théorie des cordes est en crise [note de bas de page : la branche plus formelle a évolué pour devenir une partie des mathématiques ou (à certaines occasions) de la physique ma-thématique].
Le mot crise est lâché  ...

Crise - danger = opportunité de changement 
Shifman termine son portrait sur cette question :

During their careers many of them never worked on any issues beyond supersymmetry-based phenomenology or string theory. Given the crises (or, at least, huge question marks) in these two areas we currently face, there seems to be a serious problem in the community. Usually such times of uncertainty as to the direction of future research offer wide opportunities to young people, in the prime of their careers. To grab these opportunities a certain reorientation and reeducation are apparently needed. Will this happen?
Au cours de leur carrière de nombreux théoriciens n'ont jamais travaillé sur des questions qui vont au delà d'une phénoménologie basée sur la supersymétrie ou au delà de la théorie des cordes. Compte tenu des crises (ou, au moins, des énormes points d'interrogation) auxquelles nous sommes actuellement confrontés dans ces deux domaines, il semble y avoir un problème grave dans la communauté. Habituellement de tels moments d'incertitude quant-à l'orientation future de la recherche offrent de vastes possibilités pour les jeunes théoriciens dans la fleur de leur carrière. Pour saisir ces opportunités une certaine dose de réorientation et de rééducation seront apparemment nécessaires. Est-ce que cela se produira ?
Peut-être, du moins si on tire les conclusions (forcément provisoires) qui s'imposent des résultats expérimentaux récents du LHC, par exemple ici et , et à condition que l'on élargisse le spectre des horizons théoriques en se penchant à nouveau courageusement sur les développements les plus récents des théories alternatives ...

(Pour surmonter la crise) il nous faut de l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace, et la ... Physique (la supersymétrie aussi) est (peut-être) sauvée !
Et s'il existait un autre modèle théorique, largement indépendant de l'hypothèse supersymétrique chère à la théorie des cordes, un modèle qui aille au delà du modèle standard mais qui soit capable de reproduire les prédictions de ce dernier avec une bonne précision, d'en expliquer conceptuellement plusieurs aspects importants, un modèle qui ne prédirait qu'un seul boson de Higgs cohérent avec les résultats obtenus jusqu'à présent sur la particule récemment découverte au LHC (en particulier sa masse), un modèle en accord aussi avec les résultats de la physique des astroparticules, prédisant l'existence d'un neutrino droit de Majorana et d'un mécanisme de bascule associé pour expliquer la petitesse de la masse des neutrinos gauches et leurs oscillations de saveurs ?
Et si contrairement à ce qu'on lisait encore souvent il y a dix ans :
les théories de cordes effectives [n'étaient pas], les seules théories offrant l'espoir d'une description unifiée des interactions gravitationnelles avec les autres forces fondamentales [?]
(\\ c'est moi qui ajoute le texte entre [...])
Il existe en effet un autre modèle qui, par son point de vue spectral et non-commutatif, s'efforce depuis plus de vingt ans de réaliser pas à pas l'unification effective de la mécanique quantique qui gouverne le monde microscopique avec la relativité générale qui domine le macroscosme, un modèle dont les bases mathématiques sont suffisamment solides pour relever et réussir le paris fou (ou simplement audacieux) de construire une échelle de Jacob s'étendant sur environ seize ordres de grandeurs : du domaine d'énergie associé à la brisure de la symétrie électrofaible jusqu'au domaine de l'énergie de Planck (où le concept même de symétrie ou au moins d'espace-temps semble se dissoudre dans l'inconnu) ...  un modèle enfin qui, à travers la dynamique désormais combinée de deux champs scalaires fondamentaux appelés Higgs et sigma, pourrait peut-être expliquer l'hypothétique phase inflationnaire du modèle standard de la cosmologie, voire une partie de la possible masse manquante? 
Reste à étudier, à essayer de comprendre, à s'inspirer, à enrichir, à approfondir et à donner plus de chair à ce modèle spectral de la physique ! Il y a bon espoir qu'il prenne désormais vie à part entière dans le champ de la physique phénoménologique (et pas seulement mathématique) des particules, Walter D. van Suijlekom et ses collaborateurs par exemple y travaillent dur, en particulier dans ce tout nouvel article où il est aussi  question ... de supersymétrie!






mardi 16 octobre 2012

La molécule, le chat et le chuteur

Peut-on populariser de la physique de haute volée ... sans se casser la figure?
La fête de la science s'est achevée ce dimanche sur un exploit sportif et technique retentissant commenté par exemple sur ce blog là. Tentons à cette occasion un petit exercice de vulgarisation de voltige (c'est-à-dire "casse-gueule") à savoir : établir un lien entre la vrille transsonique de Baumgartner, la chute libre d'un chat et les modes de déformation d'une molécule. On propose ainsi au lecteur de passer en revue (à grande vitesse) quelques théories physiques de haute volée. C'est parti!

Comment un chuteur libre sort d'une vrille transsonique ... 

sans forcément avoir à connaître la théorie complexe des instabilités des écoulements au voisinage de la vitesse du son (lesquelles sont à l'origine de sa vrille) mais en imitant peut-être ...

Le chat qui retombe sur ses pattes 


L'animal si cher aux physiciens (qui adorent le taquiner) ignore probablement que la compréhension physique de son mouvement passe par une application inattendue d'une théorie de jauge sophistiquée (voir l'exercice  10 p24 de cette introduction à la géométrie et la topologie pour la physique en français, rédigée par Frédéric Faure). Cette théorie est issue de travaux initiés par deux physiciens et un mathématicien, ce dernier travaillant sur l'analyse spectroscopique des...

Vibrations et rotation d'une molécule 

Il s'agit ici d'une animation des modes de déformation d'une molécule d'eau que la spectroscopie infrarouge permet d'analyser en détail.