mardi 19 février 2013

Deux détecteurs se taisent momentanément sur Terre ... Un autre dans le Ciel va bientôt parler

Après un Higgs en 2012, un Wimp (ou toute autre particule de matière noire) pour 2013 ? 
Si l'on veut avoir une idée de ce que certains physiciens des particules ont pensé de l'année 2012 en terme de résultats expérimentaux et espèrent comme récolte pour l'année 2013, le blog Résonaances offre un point de vue intéressant. En tête des évènements marquants de l'année précédente figure évidemment la découverte de ce qui a tout l'air aujourd'hui d'être un boson scalaire de Higgs par les détecteurs ATLAS et CMS. Or depuis le 14 février 2013 l'accélérateur qui produit ce genre de particule a été arrêté pour de long travaux de maintenance et de consolidation qui devraient prendre deux années. 
"Quand les temps sont durs on tourne ses yeux vers le ciel" dixit Jester ou plus précisément Adam Falkowski  l'auteur du blog en question). Or dans ce billet daté du 18 janvier il est question de l'expérience AMS-02 qui  devrait présenter ses premiers résultats en début d'année 2013. Cette expérience est comme le montre la figure ci-dessous montée sur la Station Spatiale Internationale et n'est rien de moins que le détecteur de particules le plus sophistiqué jamais envoyé dans l'espace (et aussi le plus cher, ce que le New York Times ne manque pas de rappeler lors de cette entrevue avec le physicien américain à la tête de cette lourde expérience, l'illustre prix Nobel : Samuel Ting). 

Cette vue montre la Station Spatiale Internationale ISS avec la navette spatiale Atlantis amarrée à droite et un vaisseau russe Soyouz arrimé, en haut à gauche. Dans la partie inférieure droite au premier plan, on voit le spectromètre magnétique Alpha (AMS-2), installé durant la mission STS-134.

Le rôle de ce détecteur est d'analyser les flux de rayons cosmiques chargés (dont on a fêté le centenaire de la découverte en 2012), en mesurant en particulier leur spectre énergétique (comme l'indique le nom du détecteur). Les ambitions des scientifiques qui utilisent cet outil sont naturellement à la hauteur de son coût. Il s'agit rien de moins que d'apporter des éléments de réponse aux grands mystères de l'astrophysique contemporaine : existe-t-il de l'antimatière dans l'univers (AMS peut aussi être l'acronyme de Anti-Matter in Space), existe-t-il de nouvelles formes de matière comme les étrangelets et quelle est la nature de la matière noire ? Les physiciens des astroparticules espèrent en particulier voir la trace, indirecte, d'une particule massive interagissant faiblement autrement dit un WIMP (Weakly Interacting Massive Particle) ...

Evitant de succomber au charme des annonces fracassantes, Samuel Ting reste un physicien prudent...
... comme il l'était déjà en 1974, lorsqu'il n'annonça la découverte d'une nouvelle particule (la résonance J/ψ) qu'après de nombreux et méticuleux tests effectués pour éliminer toute erreur d'interprétation de mesures. La lecture de sa conférence Nobel de 1976 est une magnifique illustration de cette rigueur; oui car cette découverte lui vallut d'être récompensé deux ans après seulement (et conjointement avec Burton Richter) par le fameux prix montrant bien l'importance de cette découverte qui marqua un tournant pour la physique des particules (connu sous le nom de Révolution de Novembre 1974 !).


It was only in November of 1974 that the discovery of the J/ψ meson – a m=3.1 GeV particle immediately recognized as a charm-anticharm bound state- convinced particle physicists that the quark model of hadrons was not a mathematical construct but a truthful description of reality. 
Ce n'est qu'en Novembre 1974 que la découverte du méson J / ψ  une particule de masse  égale à 3,1 GeV immédiatement reconnue comme formée d'une paire charme-anticharme  convainquit les physiciens des particules que le modèle des quarks pour les hadrons n'était pas qu'une construction mathématique mais aussi une description véridique de la réalité.
Tommaso Dorigo, Top quark: a short history – part I November 15, 2007

... mais qui doit maintenant présenter des résultats (rendre des comptes?) à la communauté scientifique et au public !
Ces derniers jours la blogosphère, dans ses dimensions institutionnelle et publique, bruisse d'une annonce imminente des premiers résultats de l'expérience AMS-2 que dirige Ting; résultats qui suscitent beaucoup d'attente comme on  l'a déjà dit et comme le prouvent les extraits suivants :
Ting did say that he is on the verge of releasing a paper showing how the ratio of positrons (the antimatter counterpart of electrons) to electrons passing through the space station’s near-Earth orbit varies with energy. That ratio is a key parameter in the search for dark matter, which is thought to make up 85% of the matter in the Universe. Some theories predict that dark-matter particles will annihilate in space, producing an excess of positrons that particle detectors can capture. At least two space missions, the Payload for Antimatter Exploration and Light-nuclei Astrophysics (PAMELA) and the Fermi space telescope, have already seen hints of such an antimatter excess, but they have not captured a killer signature. Ting hopes that his more sensitive spectrometer can nail the signal, which would show up as an abrupt bump in the excess at a particular energy. Alternative astrophysical sources, such as pulsars, could also produce an excess, but couldn’t as easily produce a sharp bump. 
Ting a déclaré qu'il est sur ​​le point de publier un article montrant comment le rapport du flux des positrons (l'homologue d'antimatière des électrons) sur celui des électrons traversant l'orbite de la station spatiale [internationale] varie avec l'énergie. Ce ratio est un paramètre clé dans la recherche de la matière noire, qui est supposée représentée jusqu'à 85% de la matière dans l'Univers. Certaines théories prédisent que les particules de matière sombre peuvent s'annihiler dans l'espace, produisant un excès de positrons que les détecteurs de particules peuvent capturer. Au moins deux missions spatiales, PAMELA (Payload for Antimatter Exploration and Light-nuclei Astrophysics) et le télescope spatial Fermi, ont déjà vu des indices d'un tel excès d'antimatière, mais ils leur manquent une signature irréfutable. Ting espère que son spectromètre plus sensible pourra capturer cette signature, qui apparaîtrait comme un maximum marqué dans la courbe d'évolution du ratio positrons sur électrons à une énergie caractéristique. D'autres sources astrophysiques, comme les pulsars, pourraient aussi produire un excès d'antimatière mais elles ne pourraient pas aussi facilement produire un maximum aussi aigu.
Eugenie Samuel Reich, Blog Nature Dark-matter search from the space station continues to tease 17/02/13

L'enthousiaste, le sceptique et le spécialiste
Suite à cette première conférence de presse de Ting qui n'a rien laissé filtrer d'une éventuelle découverte, l'attente ne fait que croître parmi les scientifiques enthousiastes qui espèrent quelque chose de nouveau et d'aussi (ou de plus in)attendu que le Higgs, quelque chose qui marquerait vraiment l'entrée de la physique des astroparticules dans une nouvelle aire, une découverte semblable par exemple à celle de l'antimatière en 1932 : lorsque Carl David Anderson observa dans des rayons cosmiques le premier positron  grâce à une chambre à brouillard. Un célèbre promoteur des théories supersymétriques, lesquelles sont à la base des prédictions sur les Wimps, compte les jours espérant que ses attentes seront comblées et ses vues sur la physique de l'infiniment petit confirmées (comme le furent celle de Dirac qui avait prédit l'existence de l'antimatière en 1928).  
These observations may turn out to be a de facto discovery of the dark matter particle – whose mass (if it is WIMP) is theoretically expected to be between 30 and 1,000 GeV; AMS is looking for electron-positron traces assuming that the mass is between 0.5 and 350 GeV...  The fascinating possibility is that the new hypothetical particles – if they exist at all – could be observed by three entirely different methods almost simultaneously: by seeing their annihilation through AMS-02; by directly detecting them in the direct search experiments under the ground; and by producing them at the LHC. It would be almost like an instant proof of God by seeing the Father, Son, and Holy Ghost in the same year. ;-) 
Ces observations peuvent se révéler être une découverte de facto d'une particule de matière noire - dont la masse (si c'est un WIMP) devrait théoriquement se situer entre 30 et 1000 GeV; AMS est à la recherche d'une signature dans le ratio électron-positron pour une plage de masse qui se situe entre 0,5 et 350 GeV ... Une perspective fascinante serait que les nouvelles particules hypothétiques - si elles existent - pourraient être observées par trois méthodes complètement différentes et presque simultanément : en voyant leur annihilation par AMS-02, directement en les détectant dans les expériences de recherche directe sous terre, et en les produisant au LHC. Ce serait presque comme une preuve instantanée de Dieu en voyant le Père, le Fils et le Saint-Esprit dans la même année. ;-)
Lubos Motl, Blog The Reference Frame AMS-02 dark matter results in 2-3 weeks 18/02/13

D'autres physiciens blogueurs, au vu de résultats précédents pas assez conclusifs sont plus circonspects. 
The PAMELA and FERMI satellites launched in the previous decade have been providing us with precise measurements of the high energy cosmic ray spectra. One thing we definitely have learnt is that it is painstaking to search for dark matter this way. Several excesses over theoretical predictions have been reported so far: PAMELA's positrons, Fermi's electrons, Fermi's photons from the galactic centre. They all have a plausible interpretation in terms of models of dark matter and an equally plausible interpretation in terms of boring astrophysicalphenomena. AMS may provide more input regarding the high energy spectra. As can seen in the plots of the projected sensitivity, after 10 years of data taking they expect to extend the measurement of the positron and antiproton spectra up to almost TeV (compared to the current reach of PAMELA of about 200 GeV).

 Simulation (disques colorés) de spectres énergétiques du flux relatif de positrons telle qu'ils seraient obtenus après dix ans d'accumulation de données par l'expérience AMS-02 (en 2021 ?). Chaque courbe est paramétrée par la masse d'une particule de matière noire (wimp) utilisée dans le modèle. Quelques mesures (cercles) réelles d'expériences antérieures sont aussi visibles à gauche sous la forme de cercles colorés. (d'après Andrei Kounine
It's hard to say if these projections are realistic, since it is not clear how much the resolution at high energies is degraded due to the replacement of the superconducting magnet by a weaker permanent one. Assuming they are realistic, particle physicists will be able to refine their models of dark matter, and astrophysicists to refine their models of pulsars. In any case, the chances for a smoking gun signal of dark matter appear slim at this point. 
Adam Falkowski, Blog Résonaances :  AMS is on 23/05/11


Pour terminer sur un document plus technique (plus neutre ?) on peut lire par exemple cet article de revue daté de 2011 sur l'état de l'art de la recherche de matière noire par la physique des astroparticules. Voici un extrait de sa conclusion consacré au détecteur AMS-02.
AMS-02 ... will signicantly improve on current CR observations, especially for positrons and antiprotons. For example, the enhanced particle-identi cation capabilities of AMS-02 will clarify whether the PAMELA positron measurements are contaminated by misidentified protons, and they will extend the positron data to higher energies. This is likely to improve the indirect search for DM in general ... and the interpretation of the PAMELA positron abundance in particular.

T. A. Porter et al. Dark Matter Searches with Astroparticle Data 04/2011



samedi 16 février 2013

Mais, c'est un astéroïde ? Non camarade, c'est un météore !

On se couche en rêvant d'observer le lendemain le discret passage d'un astéroïde 
Il était une fois un professeur de sciences de France et de Navarre, adepte de la chasse aux informations dans la jungle du web, qui était allé consulter le site de l'agence spatiale européenne au sujet du passage à proximité de la Terre de l'astéroïde 2012 DA 14, passage prévu pour le lendemain soir : vendredi 14 février de l'an de grâce 2013. Il s'était ainsi préparé à affronter vaillamment les questions que ne manqueraient pas de lui  poser les charmantes mais férocement sur-informées  "curiosi-têtes blondes" qui peuplent  sa cité scolaire. Il avait même prévu d'illustrer la fin de ses cours du vendredi avec quelques infographies glanées sur le forum futura-sciences.com ou bien sur le site de la revue Ciel et Espace afin de les convaincre de l'absence de danger de collision déduite des prévisions des astronomes obtenues grâce à nos connaissances des lois de la physique. Il pensait aussi donner des conseils aux jeunes amateurs d'astronomie pour tenter d'observer aux jumelles le petit astéroïde.


On se réveille avec la nouvelle fracassante d'un météore dans le ciel de l'Oural !
Or donc le lendemain quelle n'est pas sa surprise quand, effectuant la prière du matin de l'homme post-moderne, il lit sur sa tablette tactile cette nouvelle fracassante :  En Russie, une pluie de météorites fait un millier de blessés !


L'oeil-caméra ubiquiste était là qui enregistrait le passage du météore, 
au bon endroit et au bon moment et même avec le cadre parfait !


Evidemment il faut toujours se méfier un peu des titres de Une et chercher plus d'informations afin de croiser les sources mais le devoir appelle le professeur et il lui faudra attendre un peu pour voir la vidéo ci-dessous qui ne montre pas directement une pluie de météorites mais un gros météore qui semble exploser pendant dans sa course vers le sol.
Confiant dans les lois de la physique mais prudent vis à vis de la fiabilité des modèles qui les utilisent il ne s'avance pas trop devant ses élèves l'après-midi lorsqu'ils l'interrogent sur le lien éventuel entre ce météore venu de l'Oural et le passage de l'astéroïde prévu le soir même : il dit qu'il n'a pas assez d'information pour dire s'il y a un lien éventuel...
Quoiqu'il en soit, à la date et l'heure prévue par les astronomes, l'astéroïde 2012 DA 14 est bien là pour sa  "proche rencontre" avec la Terre comme l'atteste par exemple les images ci-dessous.


  Une séquence animée de prises de vue réelles illustrant le passage
de l'astéroïde 2012 DA 14  alors à 36 500 km de la Terre.
 Les images ont été prises avec un télescope du projet web 2.0
de télescope virtuel virtualtelescope.eu mis en place par Gianluca Masi.


Entre un météoroïde non identifié et des météorites très  recherchées, le désormais célèbre météore de Tchéliabinsk 
Il faudra que le professeur attende la fin de sa journée de travail pour lire plus d'informations sur ce qui c'est passé dans le ciel russe le matin même au dessus de la région de Tchéliabinsk. Il découvrira en particulier avec un certain vertige qu'il y a déjà une page wikipédia en anglais très fournie sur le désormais météore russe de 2013 et aussi une page en français (la rédaction de la première semble commencer environ une heure après l'évènement et la seconde sept heures après la première!) et il lira aussi avec une certaine curiosité les premières réactions des témoins russes de l'évènement, rapportées à travers leurs tweets.
Or donc ce qui s'est réellement passé, ou du moins ce que les nombreuses vidéos montrent, c'est l'apparition dans un ciel matutinal d'un authentique météore qui se désintègre brutalement dans les hautes couches de l'atmosphère et qui provoque du coup une violente onde de choc soufflant les vitres et portes de nombreux bâtiments. Plus tard dans la journée l'identification de probables cratères d'impacts causés par des débris du météore commence, en particulier sur un lac gelé, bientôt suivie d'une inévitable chasse à la collecte de météorites, certaines peut-être déjà entre les mains des autorités.


A propos de  Kaira ...
Reste pour le professeur la question de savoir s'il y a un éventuel lien entre le météore russe de 2013 issu par définition d'un météoroïde (qui peut être en gros soit un astéroïde soit un noyau de comète) et l'astéroïde précédent. En suivant un lien hypertexte (à partir d'une page wiki en anglais) notre professeur découvre un blog scientifique finlandais qui lui donne une réponse claire : "il n'y en a pas, c'est juste une coïncidence très improbable".
... we need to look at the trajectories. The asteroid 2012 DA14 is approaching from the south. It will slingshot past the Earth and continue rising to the North.
However, the Chelyabinsk event is coming from a different direction. The city is at 55°09′N 61°23′E and the event radiant (the position of origin of the meteor) is above and to the left of the rising sun. 
... even with the uncertainty, this is still in a COMPLETELY different direction.
Also, we can consider the timing of the events. The closest approach of 2012 DA14 will occur at approximately 19:24 UTC. The Chelyabinsk event occurred at about 9:20 am local time... which is 03:20 UTC. (UTC is Coordinated Universal Time, and provides a common time-zone to allow the comparison.)
If we consider the difference, it is approximately 18 hours. The asteroid is travelling at approximately 8 km/s and, if the Chelyabinsk object was related, it would have required a deep space velocity of about the same. Even if the two were related, this would put the two objects some half a million km apart. 
In any case, the two events are not related.
This is just a VERY unusual coincidence.
 Derek McKay-Bukowski, Blog KAIRA, 15/02/2013

Le professeur note au passage un petit clin d'oeil du destin à travers le nom du blog (qui est l'acronyme anglais de Kilpisjärvi Atmospheric Imaging Receiver Array) car, ayant eu la chance de faire un cours séjour en Finlande début janvier, il a reconnu le mot finlandais pour désigner l'outil qui permet de forer un trou dans un lac gelé afin d'y pêcher à savoir : kaira !  

L'énigme de Toungouska sera-t-elle détrônée (ou bien résolue) par (grâce à l'étude de) ce nouveau météore ?
Naturellement cet évènement survenu en Russie fait resurgir des mémoires d'autres plus anciens et donc nimbés de plus de mystères encore, comme celui survenu à Toungouska en 1908. Un site scientifique richement documenté de l'université de Bologne y est entièrement consacré. Il est impossible naturellement de résumer son contenu. On y trouve par exemple cet intéressant article qui non seulement résume bien l'explication standard de l'évènement de Toungouska basée sur la chute d'un météoroïde mais tente aussi de trancher entre une origine astéroïdaire ou cométaire par un modèle probabiliste qui conduit respectivement aux valeurs 83% et 17% pour les probabilités relatives des deux hypothèses. On peut ensuite comparer cette analyse qu'il est raisonnable de qualifier d'orthodoxe avec une autre interprétation faite par un astrophysicien plus hétérodoxe qui met en jeu non pas le ciel mais plutôt les enfers ou plus précisément ... un volcanisme sous-terrain !
Sinon la "curiosithèque" que représente la base d'articles scientifiques en ligne arxiv offre toujours l'occasion de faire un beau voyage avec ce mot clé de Toungouska véritable sésame pour découvrir des phénomènes, des objets ou des théories exotiques : les écoulements hypersoniques, l'électrophonie, la cosmogonie explosive des petits corps, la ceinture de Kuiper et le nuage de Oort, la panspermie, le monde miroir ...
Naturellement il ne faut pas perdre de vue qu'en sciences comme ailleurs il faut savoir être non seulement prudent mais aussi un sceptique actif :
And when such claims are extraordinary, that is, revolutionary in their implications for established scientific generalizations already accumulated and verified, we must demand extraordinary proof.  
Et lorsque de telles affirmations sont extraordinaires, c'est-à-dire lorsqu'elles impliquent une révolution des théories scientifiques déjà établies et vérifiées, nous devons demander des preuves extraordinaires. 
 Marcello Truzzi, The Zetetic

Une bonne part de la subtilité de cette sentence réside dans la difficulté à définir précisément ce que l'on entend par "évènements extraordinaires, affirmations extraordinaires et ... preuves extraordinaires", la zététique  créant parfois comme outil de propagande plus de controverses qu'elle n'est censée en résoudre comme discipline scientifique !

//Mise à jour lundi 18/02/13








mercredi 13 février 2013

Quand l(es)'électron(s se) donne(nt) à voir (ou) la poétique de la physique expérimentale

Des rayons cathodiques à l'électron 
L'électron en tant qu'entité individuelle sub-atomique peut apparaître comme une abstraction théorique difficilement accessible à nos sens. Il ne faut pourtant pas oublier que son identification expérimentale définitive repose sur des expériences très visuelles du XIX siècle, expériences basées sur la luminescence des rayons cathodiques, phénomène découvert par Michael Faraday dès 1838 mais qui ne sera exploité quantitativement (et judicieusement) par Joseph John Thomson qu'en 1897 à travers la mesure de certaines propriétés des électrons dont les rayons cathodiques constituent une manifestation lumineuse collective.
I am no poet, but if you think for yourselves, as I proceed, the facts will form a poem in your minds.
 Je ne suis pas poète, mais si vous pensez par vous-même, comme je procède, les faits formeront un poème dans votre esprit.
Michael Farday Lecture notes of 1858





Esthétique du phénomène naturel et de l'artefact : est ce la physique qui imite les arts plastiques...
Les aurores polaires (boréales et australes) constituent une autre manifestation lumineuse spectaculaire de faisceaux d'électrons (et de protons) ayant cette fois une origine essentiellement solaire (et interagissant avec l'atmosphère et le champ magnétique terrestre). Henri Becquerel dès 1879 eut semble-t-il l'intuition de leur nature assez précisément, nature qui fut confirmée par l'expérience de la Terrella de Kristian Birkeland


De tout temps, les aurores polaires ont suscité la fascination et des interprétations diverses. Ces  manifestations demeurèrent inexpliquées jusqu’en 1896, année où Kristian Birkeland - physicien norvégien (1867-1917) qui étudia le magnétisme solaire - réussit à reproduire ce phénomène à l’aide d’une machine appelée Terrella. En 1917, l’appareil est montré pour la première fois au public norvégien. Un siècle après cette découverte, les deux artistes, Dove Allouche et Evariste Richer qui collaborent entre 1999 et 2002, décident après un séjour d’observation dans le nord de la Norvège, de reproduire à l’identique cette machine d’un autre temps. Cette réplique réalisée avec l’aide de plusieurs scientifiques se présente comme une chambre sous vide qui permet la reconstitution artificielle d’une aurore polaire. Son calendrier d’activité magnétique est calé sur les dates et horaires de celles de l’année 1917.
La Terrella 2002, extrait du dossier de presse de l'Exposition Spy Numbers, Palais de Tokyo Paris 2009

... ou les arts plastiques qui s'inspirent de la physique ?
Il faut enfin souligner que les rayons cathodiques ont été à la base des technologies d'affichage électronique tout au long du XXème siècle et jusqu'au début des années 2000; si la télévision a été l'avatar le plus connu du grand public c'est l'oscilloscope qui fut longtemps le plus répandu dans les laboratoires. L'usage de ce dernier inspira d'ailleurs au mathématicien et artiste Ben F. Laposky la création des premières "images  électroniques" (computer graphics) qu'il photographia et présenta comme œuvres d'art à partir de 1950.


Ben Laposky, Oscillons 40, 1952
Dans les années 1950, l’artiste et ingénieur Ben Laposky photographie la série des Oscillons, ondes électriques produites par les oscilloscopes cathodiques. Il compare ces dessins géométriques lumineux à de la musique visuelle. « Les abstractions, comme nous l’avons montré, sont créées par des ondes électriques, tout comme la musique se compose d’ondes sonores. Les motifs sont abstraits et mathématiques, tout comme la musique est, pour une très large part, abstraite et mathématique. » 
Extrait d'une plaquette pédagogique 2010

dimanche 10 février 2013

L'avenir de la science ? Un peu plus à l'Est !

Sans commentaire \\ ou presque (8)

Une histoire de neutrinos chinois 
\\ En ce premier jour du nouvel an chinois, saluons nos quelques lecteurs de Chine (et d'ailleurs) en rappelant ici un résultat expérimental remarquable obtenu en 2012 par une collaboration essentiellement sino-américaine "sur un appareillage installé à proximité des centrales nucléaires de Daya Bay et de Ling Ao au sud-est de la Chine, non loin de Hong-Kong" (dixit ce billet du blog Sortir de Diaspar)
... the year 2012 was so kind as to present us not with one but with two fundamental parameters. Except the Higgs boson mass, we also learned about one entry in the neutrino mixing matrix, the so-called θ_13 mixing angle. This parameter controls, among other things, how often the electron neutrino transforms into other neutrino species... The sign of the times: the first prize was snatched by the Chinese (Daya Bay), winning by a hair before the Koreans (RENO), and leaving far behind the Japanese (T2K), the Americans (MINOS), and the French (Double-CHOOZ). The center of gravity might be shifting...
... l'année 2012 a eu l'amabilité de nous révéler non pas un mais deux paramètres fondamentaux. Mis à part la masse du boson de Higgs, nous avons également beaucoup appris sur un élément de la matrice de mélange des neutrinos, l'angle de mélange θ13. Ce paramètre contrôle, entre autres choses, combien de fois le neutrino électronique se transforme en d'autres espèces de neutrinos... Signe des temps: le premier prix a été arraché par les Chinois (Daya Bay), gagnant d'un cheveu devant les Coréens (RENO), et laissant loin derrière les Japonais (T2K), les Américains (MINOS) et les Français (Double-Chooz). Le centre de gravité [de la science] est peut-être en train de se déplacer...
Blog Résonaances, 2012 Highlights 31/12/12

Les chinois sont désormais parmi les meilleurs dans la course aux neutrinos. Il n'a fallu aux physiciens chinois que 55 jours pour produire une mesure très précise d'un des 5 paramètres fondamentaux régissant l'oscillation des neutrinos, à savoir l'angle de mélange dénommé théta13.
Jusqu'à présent, on connaissait relativement bien 4 de ces 5 paramètres, les deux écarts de masse entre les trois saveurs et deux des trois angles de mélange (paramètres qui décrivent comment se mélangent les différents neutrinos). Il restait à mesurer le plus précisément possible ce dernier théta13... grâce à leurs détecteurs plusieurs fois plus imposants que ceux de leurs concurrents (100 tonnes) et un bon flux d'antineutrinos électroniques produit par six réacteurs de près de 3 GW, les physiciens chinois de Daya Bay ont pu mesurer l'angle théta13 avec une bonne précision en moins de deux mois et trouvent une valeur de 8.8° +- 0.8. Les expériences concurrentes n'avaient jamais pu atteindre une précision aussi bonne.
Blog Ça se passe là haut, Les Chinois en Tête dans la Course aux Neutrinos 19/03/12

Pour les passionnés qui lisent l'anglais signalons que l'actualité scientifique sur les neutrinos peut être suivie sur le blog Neutrinoscience qui leur est entièrement dédié!

Faisons de la recherche ... pas la guerre
Bon nouvel an chinois à tous donc ... et espérons que les tensions en mer de Chine cessent rapidement et que "les deux parties décident de s’entendre sur une gestion commune des ressources naturelles de la région en mettant en avant des méthodologies coopératives qui on déjà fait leur preuve dans d’autres situations" comme l'écrivait le site diploweb.com le 19 décembre dernier !


jeudi 7 février 2013

"La quête du Kilograal" : eulogie pour un site web

Pour découvrir les enjeux métrologiques qui se cachent derrière le débat évoqué dans le billet précédent autour d'une (future) mesure "quantique" très précise de la masse d'un atome à l'aide d'une détermination de sa fréquence Compton, il faut absolument découvrir ce site web. Il est consacré à une présentation très soignée, sur le plan graphique et discursif, des débats et controverses autour de la définition du kilogramme, de son étalon et des techniques de mesure de masse à l'état de l'art. 



extrait de : controverses.sciences-po.fr/archive/kilogramme/intro.html


Pour connaître les résolutions adoptées lors de la conférence des poids et mesures de 2011 voir ici.


mercredi 6 février 2013

La masse se mesure(ra peut-être un jour) en secondes

Sans commentaire \\ ou presque (7)

(Défense et) Illustration de la diffusion de l'information dans la blogosphère
De l'Ouest :
physicsandphysicists.blogspot.fr/2013/01/linking-particles-mass-to-time.html
backreaction.blogspot.fr/2013/01/how-particle-tells-time.html
vers l'Est :
passeurdesciences.blog.lemonde.fr/2013/02/03/physique-la-masse-se-mesure-aussi-en-secondes/#comment-18816

Extension du domaine de la recherche bibliographique (et scientifique)
Ce qu'en dit la revue Nature :
www.nature.com/news/the-time-about-a-quarter-past-a-kilogram-1.12191
Ce qu'en dit la revue ScienceNews :
www.sciencenews.org/view/generic/id/347512/description/New_clock_revolves_around_an_atoms_mass

Une controverse (un "héros de la quantique") peut en cacher une autre (un autre "héros de la quantique")
Où l'on apprend que deux physiciens ayant reçus le prix Nobel la même année ne sont pas toujours d'accord sur tout :
www.nature.com/news/2011/110609/full/news.2011.358.html
www.iop.org/news/11/june/page_51186.html
sciencereview.berkeley.edu/a-showdown-in-nature-between-chu-and-cohen-tannoudji/
www.lkb.ens.fr/Atomic-gravimeters-and-the

Steven Chu / Claude Cohen-Tannoudji : débat [des battements] quantique[s] 
l'article qui déclenche le débat :
www.nature.com/nature/journal/v463/n7283/abs/nature08776.html
première critique :
arxiv.org/abs/1012.1194
commentaire de la critique :
arxiv.org/abs/1112.6039
réponse au commentaire de la critique :
arxiv.org/abs/1201.1778

Après l'horloge atomique et l'horloge optique : une horloge nucléaire ou de "Compton" ?
D'autres articles et d'autres auteurs qui approfondissent le débat (qui n'est pas uniquement franco-américain)
arxiv.org/abs/1102.2587 (chercheurs indiens)
arxiv.org/abs/1105.0749 (chercheur travaillant en Allemagne)

L'horloge "Compton" de Müller et ses collaborateurs : entre Réel et Formel ... 
Claude Cohen-Tannoudji, who won the 1997 Nobel prize alongside Steven Chu, for one is not impressed. The paper "reports a measurement of the recoil frequency, but this recoil effect has been known for decades," he wrote in an e-mail toNature, adding, "Any atomic clock involves masses. But nowhere in their experiment, does a real Compton oscillator at 10 25 Hz appear!"
Claude Cohen-Tannoudji, qui a reçu en 1997 le prix Nobel aux côtés de Steven Chu, n'est pas impressionné. Le papier "rapporte une mesure de la fréquence de recul (*), mais cet effet de recul  est connu depuis des décennies", écrit-il dans un courriel à Nature ajoutant: "Toute horloge atomique implique des masses. Mais nulle part dans leur expérience, n'apparait un véritable oscillateur Compton  à 10 25 Hz ! "
Roland Pease The time? About a quarter past a kilogram, Nature   (11 january 2011)

... researchers have a more conceptual objection: Because there is nothing at this frequency actually oscillating within the atom, they say it is not a clock at all. “It may be a clock numerically, but it’s not a physical clock,” says Christian Bordé, a physicist at the Paris Observatory. Müller counters that the clock’s simplicity is its greatest trait: He is measuring an intrinsic quantum property of an atom, one that depends only on the atom’s mass.
... les chercheurs ont une objection plus conceptuelle : parce qu'il n'y a en fait rien  qui oscille dans l'atome à cette fréquence, ils disent que ce n'est pas du tout une horloge. "C'est peut-être une horloge numérique, mais ce n'est pas une horloge physique", explique Christian Bordé, un physicien de l'Observatoire de Paris. Müller réplique que la simplicité de l'horloge est sa plus remarquable caractéristique : il mesure une propriété quantique intrinsèque à l'atome qui ne dépend que de sa masse.
Andrew Grant, New clock revolves around an atom's mass, Science News (February 9, 2013; Vol.183 #3)

\\(*) le lien est proposé à titre indicatif, il dirige le lecteur curieux vers un texte de Jean Dalibard et Christophe Salomon sur les expériences avec des atomes froids et décrit en particulier la mesure en fréquence d'une énergie de recul liée à la masse d'un atome.  En l'absence d'informations supplémentaires sur le contenu du courriel de Cohen-Tannoudji adressé à la revue Nature, le blogueur en est réduit à interpréter ses propos et en particulier à faire l'hypothèse raisonnable que la "fréquence de recul" dont il parle est bien liée, via la relation de Planck-Einstein, à l'énergie de recul, concept essentiel dans la technique de refroidissement des atomes par lasers, technique dont Cohen-Tannoudji est l'un des héros/herauts.

mardi 5 février 2013

L'électron, la corde et le marteau

(Tentative de) Tanka quantique ...
Corde d'arpenteur
Ou bien marteau d'accordeur.
Quel meilleur outil
Pour mesurer l'électron
Ou le géométriser ?

... pour illustrer cette citation de Niels Bohr :
We must be clear that when it comes to atoms, language can be used only as in poetry. The poet, too, is not nearly so concerned with describing facts as with creating images and establishing mental connections.
In his first meeting with Werner Heisenberg in early summer 1920, in response to questions on the nature of language, as reported in Discussions about Language (1933)
Il est clair que lorsqu'il est question d'atomes le langage ne peut être employé que de manière métaphorique. Le poète aussi n'est pas tant concerné par la description des faits que par la création d'images pour créer des connections mentales.
... et en guise de clin d'oeil à un récent billet de Lubos Motl, électron libre de la blogosphère
qui brosse un intéressant portrait de l'électron à travers l'histoire de sa découverte et des tests de ses propriétés physiques; article que nous avons commenté le jour même de sa parution en ces termes :

Dear Lubos, 

If the fine structure of the electron looks like a string, you will agree that LHC is a sophisticated hammer, then, speaking figuratively, don't you think young physicists should also learn about piano tuning and not only play with 12 knot ropes to measure the size or the dimensions of the electron ;-)
To balance this point of view I would add the following safeguard mantra :
"No brainwashing by any Pythagore!"
To end with I hope you will appreciate this quotation from the french mathematician Gilles Godefroy
"An electron is more difficult to understand than the diagonal of a square" (in The Adventure of Numbers)